Attac Italie - M. Draghi, l’avenir est trop important pour le laisser entre les mains des cours de la Bourse

vendredi 3 avril 2020, par Attac Italie

Lettre ouverte à Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), par Attac Italie.

Cher Professeur Draghi,

Je dois avouer que j’ai toujours été très attentif à chacune de vos interventions, à la fois parce que, contrairement à d’autres représentants de l’élite qui envahissent les médias, vous êtes généralement plus discret, et parce que j’ai appris que chaque fois que vous parlez, ce n’est jamais par hasard , mais pour proposer un scénario. Pour être honnête à chaque fois je me mets sur mes gardes.

Et c’est ce qui c’est passé cette fois-ci aussi, après votre intervention de poids dans le Financial Times, dans laquelle vous avez exprimé quelques concepts fondamentaux, que j’essaierais de résumer ici :

  • nous sommes en guerre ;
  • comme dans toute guerre, des mesures exceptionnelles sont nécessaires ;
  • ces mesures doivent être supportées par l’État, qui doit dépenser beaucoup et immédiatement, non seulement pour soutenir les revenus des familles, mais aussi pour éviter l’effondrement des capacités productives du pays ;
  • pour ce faire, l’État ne doit absolument plus s’inquiéter de l’augmentation de la dette publique et doit mobiliser le système bancaire et financier, se faisant le garant des financement qu’ils fourniront à tous sans conditions et à taux zéro.

Je suis sûr que plus d’un bureaucrate de Bruxelles sera tombé de son fauteuil en entendant ces mots. « Mais comment ? L’un des plus grands partisans du piège de la dette, avec lequel nous avons mis les peuples en cage pendant des décennies en leur faisant digérer les coupes imposées dans les dépenses publiques, les privatisations, la désintégration des droits sociaux et du travail, affirme soudain que les États peuvent et doivent dépenser, immédiatement et sans contraintes ? ». Ou peut-être ont-ils compris l’astuce.

Je suis également sûr des applaudissements qui vous seront immédiatement accordés par les forces politiques de tous bords, à la fois pour leur servilité ordinaire envers les puissants, et afin de pouvoir enfin reprendre la parole, après être resté muet face à l’urgence sanitaire et sociale qui a submergé les gens qu’ils étaient censés protéger. Et ceux-ci n’ont certainement rien compris.

Je voudrais alors, de mon modeste bureau de mon domicile, où je suis confiné avec près d’un milliard d’autres personnes sur la planète, essayer de vous parler. Commençons par l’hypothèse initiale, avec laquelle je suis immédiatement en désaccord.

Non, nous ne sommes pas en guerre et l’ennemi est loin d’être invisible. Sur ce point, Bertolt Brecht a écrit ces vers mémorables : « À l’heure de marcher, beaucoup ignorent qu’à leur tête marche l’ennemi. La voix qui les commande alors est la voix de leur ennemi. Celui qui d’ennemi parle, est lui-même l’ennemi. » Regardons les choses en face : pourquoi face à un grave problème sanitaire et social, devenu une tragédie en raison de l’incapacité à le gérer en tant que tel, tous, y compris vous-même, avez commencé à militariser le langage ? Essayez-vous de nous dire que la guerre - aujourd’hui sanitaire, demain économique - sera le scénario dans lequel vous pensez que vous nous enfermerez à jamais ? Ou essayez-vous de cimenter une unité nationale au sein de laquelle vous serez toujours aux commandes ?

Nous avons besoin de mesures exceptionnelles et les États doivent dépenser ? Nous qui avons toujours combattu le piège du pacte de stabilité, le pacte budgétaire européen, les contraintes budgétaires - véritables causes de la transformation d’un grave problème de santé en tragédie de masse - ne pouvons qu’être d’accord. Mais pourquoi ne pas dire alors que le traité de Maastricht qui les a produits devrait être aboli et déchiré ? Essayez-vous de nous dire qu’aujourd’hui vous pouvez dépenser parce que le monde des affaires est en difficulté, puis demain refermer la cage et nous proposer de nouveau d’autres décennies d’austérité ?

Il semble que oui, selon vos paroles. Car, s’il est vrai que les États doivent dépenser sans regarder à l’augmentation de la dette publique - et nous sommes d’accord - dans quelles mesures le scénario que vous proposez garantira que, dans la seconde moitié de ce jeu dramatique, les États et les populations ne seront pas de nouveau le dos au mur ?

Pourquoi ne pas dire la seule chose qu’il faudrait dire, que la BCE devrait être immédiatement transformée en banque centrale garantissant sans aucune limite la dette publique des États et en achetant au travers de chaque banques nationales tous leurs titres émis ? Le système libéral s’effondrerait-il ?

Croyez-moi, M. Draghi, ce système s’est lamentablement effondré avec la colère de milliers de médecins et d’infirmières, que vous appelez des héros uniquement parce que vous savez que vous les avez envoyé en enfer ; il s’est effondré dans les grèves des travailleurs qui se battaient pour leur vie et contre le profit d’autrui ; il s’est effondré dans la culpabilisation des citoyens, construite astucieusement pour ne pas leur faire réfléchir sur les ravages que vous avez faits en vingt ans d’austérité.

Vous avez besoin de la collaboration responsable de toutes et de tous ? Nous sommes d’accord, à condition : que les décisions soient prises avec la participation de tous/tes et, surtout que tous ceux qui, ces dernières années, nous ont demandé de rivaliser jusqu’à l’épuisement sans garantir la protection de tous·tes, fassent un pas en arrière.

Car, M. Draghi, l’avenir est trop important pour le laisser entre les mains des cours de la Bourse.

Marco Bersani

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