Palestine : pas de paix sans justice, pas de justice sans décolonisation !

lundi 19 février 2024, par Sophie Anmuth

En France, la question de l’injustice subie depuis trop longtemps par les Palestinien·nes est revenue sur le devant de la scène avec l’attaque sanglante du 7 octobre menée depuis la bande de Gaza. Cette attaque, qui a fait 1200 victimes israéliennes, a délibérément visé des civil·es et relève d’un crime de guerre que rien ne justifie.

La réponse du gouvernement israélien a quant à elle pris la forme d’une surenchère aveugle et meurtrière : siège et le bombardement continu de la population de Gaza, privée d’eau, d’électricité et de gaz, sans compter l’utilisation de bombes au phosphore, les assassinats de manifestant·es en Cisjordanie et la menace d’expulsion de plus d’un million d’habitant·es du nord de Gaza. Au point qu’un ancien responsable du Haut-Commissariat des droits humains à l’ONU, Craig Mokhiber, évoque « un cas typique de génocide. »

Ce texte est tiré du dernier numéro de notre trimestriel, Lignes d’Attac (janvier 2024), disponible en adhérant ou en s’abonnant.

Cette escalade effroyable n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu : elle résulte de décennies d’oppression coloniale. Elle s’inscrit dans une guerre de longue durée menée contre le peuple palestinien pour l’expulsion de leurs territoires. Une guerre de plus ou moins grande intensité selon les périodes, commencée avant même la création de l’État d’Israël.

A l’émotion suscitée en France par les victimes israéliennes a succédé l’émotion face aux victimes palestiniennes, à Gaza d’abord, plus de dix fois plus nombreuses (15,000 fin novembre à l’heure où nous écrivons), et aussi en Cisjordanie, plus de 200 depuis le 7 octobre. L’horreur ressentie est encore augmentée par les déclarations d’officiels israéliens, qui affirment vouloir en effet raser Gaza, et vider l’enclave de ses habitant·es, en en faisant des réfugiés perpétuels comme celles et ceux qui ont déjà été expulsé·es depuis une, deux ou trois générations, et dont Israël refuse le retour, bien qu’il soit garanti par le droit international.

« Ceux qui observent les affaires palestiniennes n’ont pas été surpris par cette déflagration car, en Cisjordanie, il y avait près d’un Palestinien tué par jour depuis début 2023, sur fond de colonisation et de confiscations de terres qui rendent la solution entre les deux États impossible [1] », comme le rappelle Ziad Majed, politologue spécialiste du Moyen-Orient. Et cela dans le contexte de 16 ans de blocus, qui privait déjà les deux millions de Gazaoui·es d’un accès continu à l’eau (voire à l’eau potable tout court), à l’électricité, aux produits de première nécessité et aux médicaments, et les soumettait régulièrement à des campagnes de bombardement meurtrières. La propagande israélienne, d’une part, légitime la mort des civil·es et son projet d’expropriation en déshumanisant les Palestinien·nes ; et d’autre part, clame souvent qu’Israël s’est installé sur une terre sans peuple.

Normalisation et accélération de la colonisation israélienne

Le chef du gouvernement israélien, Benyamin Netanyahou, est allé jusqu’à montrer, en septembre dernier à l’Assemblée générale des Nations unies, une carte sur laquelle la Cisjordanie et la bande de Gaza font partie d’Israël. Depuis les accords d’Oslo, qui n’ont pas abouti à la création d’un État palestinien mais d’une tutelle israélienne sur l’Autorité Palestinienne (AP), en en faisant une entité collaboratrice en termes de sécurité et impuissante en termes de protection de ses administré·es, la Cisjordanie est divisée en trois zones, dont l’AP ne contrôle que 40%, et où les Palestinien·nes n’ont pas le droit de s’établir où ils veulent, contrairement aux colons israéliens. La violence de ces derniers est encouragée par le gouvernement d’extrême-droite actuel, notamment sa composante fanatique religieuse.

Depuis le 7 octobre, cette violence a encore empiré, avec des descentes armées de colons dans des villages palestiniens, des meurtres et des actes de torture et d’humiliation couverts par l’armée israélienne. On estime que plus de 1000 personnes ont dû fuir leurs villages. Outre les personnes tuées par l’armée et les colons, l’armée israélienne a également détruit une partie des infrastructures civiles de plusieurs camps de réfugiés en représailles à des actions de combattants irréguliers palestiniens.

Environ 3 000 Palestinien·nes (surtout des activistes anti-occupation, journalistes, étudiant·es) ont été arrêté.es en Cisjordanie et à Jérusalem. Des dizaines de Palestinien·nes israélien·nes ont été arrêté·es pour des écrits sur les réseaux sociaux ou leur participation à des manifestations. Plusieurs milliers de travailleurs originaires de Gaza ont également été arrêtés, certains torturés, et expulsés vers Gaza sous les bombardements, d’autres ont été envoyés en Cisjordanie.

Double standard

En octobre dernier, Craig Mokhiber, directeur du bureau new-yorkais du Haut-Commissariat des droits humains à l’ONU, disait, en démissionnant : « il s’agit d’un cas typique de génocide. » Pourtant, en France et dans de nombreux autres pays, les gouvernements ont exprimé un soutien inconditionnel à Israël. Il existe une différence de traitement médiatique : « reprise des éléments de langage de l’armée israélienne, déshumanisation des Palestinien·nes, demandes de condamnations asymétriques, effacement du contexte, sans oublier le racisme dans les rédactions » dénonce en France l’Association des journalistes antiracistes et racisé·e·s.

Il y a aussi une différence de traitement politique, qui n’est pas récente car nos gouvernements ne se mobilisaient déjà pas contre la violence de l’occupation en Cisjordanie ou le blocus de Gaza mis en œuvre par Israël. En France, des organisations qui ne communiaient pas dans le consensus pro-israélien ont été menacées de dissolution, la lutte contre l’antisémitisme a été instrumentalisée, et les manifestations qui dénonçaient les atrocités contre les Gazaoui·es ont été interdites au début, et des centaines de personnes en subissent encore les conséquences judiciaires (amendes et procès). La France a même expulsé en novembre une militante féministe palestinienne de 71 ans, Mariam Abou Daqqa, après lui avoir fait subir deux arrestations et un passage en CRA, au motif qu’elle aurait représenté une « menace à l’ordre public », alors qu’elle était en France grâce à une invitation de longue date pour une tournée de conférences (y compris à l’Assemblée nationale, où elle n’a donc pas pu se rendre).

Cette différence de traitement ne peut que laisser penser à une différence d’estimation de la valeur des vies. Ziad Majed analyse aussi que « pour une grande partie de l’opinion mondiale aujourd’hui » est mis à nu « le double standard de l’Occident, son indignation à géométrie variable, sa façon de transformer le droit international en un simple point de vue qui devrait s’appliquer en Ukraine mais pas en Palestine. »

Dénoncer, amplifier, organiser

En tant que mouvement altermondialiste, il ne faut pas avoir peur des mots. Il faut dénoncer le colonialisme, le racisme, le nettoyage ethnique et l’apartheid. Comme l’ont martelé des organisations de défense des droits humains israéliennes et internationales assez récemment, et comme le disaient déjà bien avant les Palestinien·nes, qui n’étaient pas écouté·es, il n’y a pas un État israélien et un proto-État palestinien, mais il n’y a qu’un seul État, d’apartheid.

Comme le résumait la politiste americano-palestinienne Noura Erakat, avocate des droits humains et professeure à l’Université Rutgers, « Israël réalise ses ambitions coloniales par le biais du droit civil en Israël, du droit militaire en Cisjordanie, du droit administratif à Jérusalem-Est et de la guerre systémique contre Gaza. L’apartheid est un projet colonial et le sionisme est une forme de racisme [2]. »

Il faut amplifier les voix palestiniennes et leur résistance, celle des chercheur·ses, journalistes, artistes, syndicalistes, féministes, mouvements de solidarité avec les prisonnier·es, de coopératives qui cherchent à nourrir la population sans enrichir l’occupant. Plusieurs mouvements n’ont pas obtenu assez d’attention ces dernières années. Par exemple depuis les années 2000, en Cisjordanie, des comités de résistance populaire contre la colonisation organisent la protection des agriculteur·ices, des grèves, des manifestations et des actions juridiques. En 2018, la marche du retour, un mouvement de protestation pacifique né dans la bande de Gaza pour la levée du blocus et le droit au retour, avait mobilisé bien au-delà des divisions partisanes.

En 2021, suite notamment à de nouvelles menaces d’évictions de résident.es palestinien·nes par des colons israéliens à Jérusalem-Est, et au meurtre d’un Palestinien d’Israël par un activiste israélien d’extrême droite dans la ville de Lod, des mouvements inédits de protestations et de grève avaient uni au fil des mois une jeunesse palestinienne d’Israël, de Jérusalem, de Gaza, de Cisjordanie, et des communautés de réfugiés dans les pays limitrophes. Mais ces deux mouvements avaient aussi conduit à des bombardements meurtriers sur Gaza.

Comme le demande l’ONG palestinienne Al Haq : « Le démantèlement du régime d’apartheid colonial israélien implique la fin immédiate de l’occupation et le retour des réfugiés palestiniens dans leurs foyers. La décolonisation exige la réalisation collective du droit du peuple palestinien à l’autodétermination [3]. » Il faut se concentrer sur ces revendications portées par les Palestinien.nes : droit au retour, droit à l’autodétermination (pour les Palestinien·nes de Gaza, de Cisjordanie, de la diaspora et d’Israël), et cela par le biais de la dénonciation de l’apartheid et par l’appel au boycott, au désinvestissement, et aux sanctions internationales (BDS).

Attac soutient à cet égard la campagne BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions). BDS France a des comités locaux dans toute la France et propose à des espaces (librairies, cafés etc.) de devenir des Espaces Sans Apartheid. En réponse à l’appel des syndicats et ONG palestiniens, Attac a également signé, aux côtés d’une centaine d’organisations, un appel pour mettre fin à la complicité avec les crimes d’Israël et un embargo bilatéral sur les armes à destination du pays.

Sophie Anmuth

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