Où en est l’altermondialisme ?

dimanche 1er octobre 2023, par Christophe Aguiton

Dès sa création, Attac s’est inscrite dans un mouvement plus large : l’altermondialisme. Vingt-cinq ans plus tard, il est utile de revenir sur les raisons de l’émergence de ce mouvement, sur ses apports, mais aussi sur les transformations qui ont marqué les mobilisations populaires.

Le dernier quart du vingtième siècle a vu le monde connaître une série de transformations profondes. Face à l’épuisement du modèle de développement des décennies qui ont suivi la deuxième guerre mondiale, le patronat et les gouvernements des pays dominants se sont convertis au néolibéralisme, se sont engagés dans une restructuration de l’appareil productif et ont initiés une nouvelle phase de mondialisation économique et financière.

L’effondrement de l’Union soviétique et des régimes qui lui étaient attachés et l’intégration de la Chine dans les circuits de production des grandes firmes multinationales ont parachevé l’extension de la mondialisation néolibérale à la planète entière. Une mondialisation qui a bénéficié du développement des technologies numériques et dont les défenseurs ne cessaient d’en vanter les mérites, allant jusqu’à prétendre que la « New Economy » en avait fini avec les crises et que s’ouvrirait une période de prospérité pour tous !

Dans ce contexte, et devant l’évidence que la mondialisation néolibérale était un facteur d’accroissement des inégalités, de dégradations grandissantes de l’environnement et d’atteintes à la démocratie, sont apparues de nouveaux thèmes et de nouvelles formes de mobilisation. Le 1er janvier 1994 les zapatistes du Chiapas se sont soulevés contre l’accord de libre-échange d’Amérique du nord. Au même moment des mobilisations internationales ont été lancées pour exiger l’annulation des dettes des pays du sud, ou pour contester les plans d’ajustement que le FMI et la Banque mondiale imposaient aux pays pauvres.

La crise des monnaies asiatiques de 1997 a été la première d’une série de secousses majeures pour l’économie mondiale et elle a été l’élément déclencheur pour la naissance d’Attac, en France, un an plus tard. Mais c’est le succès des manifestations de Seattle qui ont bloqué la conférence de l’OMC fin 1999 qui ont été le point de départ d’une mobilisation mondiale des mouvements sociaux, des syndicats, des principales ONGs et autres mouvements citoyens face à la mondialisation néolibérale.

Une mobilisation mondiale qui, après Seattle, a vu se multiplier les manifestations sur tous les continents, en Europe à Prague, Barcelone et surtout Gènes en juillet 2001. Une mobilisation mondiale qui a trouvé son cadre de coordination et d’échanges dans les Forum sociaux mondiaux dont le premier s’est réuni à Porto Alegre, au Brésil, en janvier 2001, puis dans les Forum sociaux continentaux, en Europe à Florence en 2002. Le mouvement altermondialiste était né, un terme nouveau s’inscrivant dans le slogan du FSM « Un autre monde est possible » et qui soulignait que l’opposition à la mondialisation néolibérale ne voulait en rien dire repli sur les cadres nationaux et étatiques.

Le mouvement altermondialiste a été le vecteur d’une transformation profonde de la culture politique des mouvements. Le vingtième siècle avait vu s’imposer une culture basée sur le culte de l’unité et des hiérarchies. Hiérarchie entre acteurs sociaux, seule la classe ouvrière était considérée comme capable de rompre avec le capitalisme. Hiérarchie entre organisations, les partis politiques étant considérés comme les seuls à pouvoir donner une orientation globale. Et hiérarchie au sein même des organisations avec des structures pyramidales à tous les niveaux.

Les Forum sociaux et le mouvement altermondialiste mettent au contraire l’accent sur la richesse de la diversité, diversité des acteurs, des continents et des thématiques et revendications. Ils mettent également en avant le refus de toute hiérarchie, aucun des thèmes ou des acteurs ne peut s’imposer face aux autres, tous devant accepter l’horizontalité du fonctionnement en réseau.

L’autre apport de l’altermondialisme a été sa capacité à s’adapter aux nouveaux contextes. Né avant tout pour contester les institutions économiques et financières, OMC, FMI et Banque mondiale, et le pouvoir des pays dominants regroupés dans le G7, le mouvement altermondialiste a été décisif dans l’organisation des mobilisations contre la guerre en Irak, en 2003 puis dans l’émergence du mouvement pour la justice climatique qui s’est mobilisé lors des COP de Copenhague ou de Paris. Face à la conjonction des crises, économiques, sociales, environnementales et démocratique, le mouvement altermondialiste a été un cadre essentiel pour penser les alternatives capables de changer le système et construire les mobilisations internationales plus indispensables que jamais.

La transformation de la culture politique des mouvements est probablement l’apport le plus important de l’altermondialisme aux mobilisations populaires. Mais celles-ci ont connu des évolutions importantes dans les dix dernières années, à partir du « printemps arabe » de 2011 puis des mouvements Occupy ou Indignados.

La première est l’élargissement de ces mobilisations à la jeunesse et aux couches populaires dans de très nombreux pays. S’il y a eu des reculs et des situations dramatiques, comme nous le voyons aujourd’hui encore en Syrie, Egypte ou au Yémen, les mobilisations se sont multipliées ces dernières années, l’année 2019 ayant marqué l’apogée de cette vague planétaire de luttes et de révoltes.

La seconde donnée est la difficulté de trouver les lieux et les cadres d’échanges et de coordination entre ces luttes alors pourtant que les thèmes de ces mobilisations sont très proches d’un continent à l’autre : la démocratie, bien sur, mais aussi les questions sociales et les questions environnementales comme le montrent les manifestations monstres pour la « justice climatique ». Une des raisons à cette difficulté se trouve dans l’évolution de la situation géopolitique mondiale.

Si le néolibéralisme est encore à l’agenda de quasi tous les gouvernements, la fragmentation géopolitique a remplacé la « gouvernance mondiale » qui prévalait il y a vingt ans. Le G7, à Gènes en juillet 2001, était vraiment le « directoire du monde » et le FMI ou l’OMC imposaient leurs règles sur tous les continents. Et nous savons tous qu’il est plus aisé de se rassembler quand nous avons des adversaires communs et identifiables, ce qui n’est plus la situation actuelle...

La dernière grande évolution est la place de l’engagement direct des individus dans les mobilisations sans passer par la médiation d’organisations de masse. Les Forum Sociaux étaient basés sur des mouvements et des organisations très divers, mais c’était ces structures qui décidaient des formes et de l’agenda des mobilisations altermondialistes. Mais depuis dix ans, les individus ont pris le pas sur les structures organisées. C’était le cas des mouvements Occupy, mais c’est toujours le cas des mouvements comme les Gilets Jaunes en France, les marches climat de « Friday For the Future », le mouvement « Hirak » en Algérie ou les mobilisations de Hong Kong où les jeunes militants veulent « être fluides comme de l’eau ».

Aujourd’hui, de nouveaux défis nous imposent de renforcer nos réponses internationalistes. La pandémie de Covid-19 a montré toutes les fragilités de nos sociétés et la nécessité de repenser les relations entre l’humanité et la nature. La guerre en Ukraine fracture encore plus la scène géopolitique et nous demande de soutenir le peuple ukrainien dans sa lutte pour garder la souveraineté de leur pays tout en refusant le retour du militarisme, en France comme dans le reste du monde. Et le retour de l’inflation frappe avant tout les plus modestes et remet, en Europe comme sur les autres continents, la question sociale au cœur des mobilisations.

Les réponses à ces défis et à l’instabilité croissante du monde ne pourront se penser sans un renforcement des liens internationaux et des cadres communs aux mouvements sociaux et citoyens, au niveau européen et mondial.

Christophe Aguiton

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