« Emmanuel Macron s’installe délibérément sur le terrain de la fascisation »

vendredi 1er octobre 2021, par Ludivine Bantigny

Dans leur ouvrage « Face à la menace fasciste », Ludivine Bantigny et Ugo Palheta décryptent les conséquences des politiques macronistes sur l’état politique de la France, alertant sur les signes d’un processus fascisant en cours.

  • Nous sommes donc dans une situation où nous faisons face à une menace fasciste en France ?

Oui, même si, évidemment, Ugo Palheta et moi sommes très clairs : il faut souligner très fermement qu’il n’y a pas de fascisme. Le régime n’est pas fasciste, la politique menée n’est pas fasciste à proprement parler, mais, outre le fait qu’il y a très clairement des groupes fascistes organisés, il y a aussi dans le monde médiatique des éditorialistes qui le sont de plus en plus et qui, pour autant, ont pignon sur rue et sur micro. Je pense par exemple à Zemmour ou Messiha, qui tiennent un discours extrêmement racialiste et qui prônent ce qui pourrait correspondre à la définition du fascisme, c’est-à-dire une aspiration à un pouvoir non seulement autoritaire, mais qui déciderait d’éliminer systématiquement ses opposants pour imposer une communauté fondée sur la nation et homogène du point de vue à la fois social et ethno racial, du point de vue du genre, des mœurs, etc.

Il n’y a pas de fascisme, au sens d’un régime politique, mais il y a une menace. Les menées factieuses de certains corps de police sont très révélatrices, quand les agents viennent intimider les journalistes en encerclant la Maison de la Radio, quand ils viennent se rassembler sur les Champs-Elysées, ou encore quand ils viennent intimider le Parlement et la justice en manifestant devant l’Assemblée. Il y a des traits de fascisation évidemment, quand il y a des traques contre les migrants, une criminalisation du soutien aux migrants, quand des petits groupes fascistes s’en prennent à des librairies antifascistes.

On peut parler de menace fasciste, plus précisément de traits de fascisation, qui s’inscrivent plus généralement dans une sorte d’extrême droitisation du débat public du point de vue idéologique et de la politique menée au sommet de l’État.

  • Qu’entendez-vous par traits de fascisation ?

On observe une surenchère autoritaire, avec un pouvoir exercé de manière de plus en plus autoritaire. Il nous semble intéressant de rappeler ce que disait Antonio Gramsci sur la crise d’hégémonie. La tendance à la fascisation prend place dans une crise d’hégémonie, quand le pouvoir en place peut de moins en moins obtenir le consentement de la population et doit exercer de plus en plus son pouvoir sous une forme répressive, sous une forme d’intimidation.

Or, on voit croître une violence d’État qui non seulement n’hésite pas à réprimer les manifestations, les mobilisations sociales, comme on l’a vu pendant le mouvement des Gilets jaunes, mais en outre légifére d’un point de vue sécuritaire et autoritaire, avec par exemple la loi “séparatisme” et la loi “sécurité globale”. Cette perspective de plus en plus liberticide s’accompagne d’un racisme de plus en plus structurel qui prend notamment les traits de l’islamophobie. La loi “séparatisme” est tout à fait exemplaire à cet égard. Qu’une association comme le CCIF puisse être dissoute de manière parfaitement arbitraire sans que cela suscite une levée de boucliers, c’est très inquiétant. Le pouvoir macroniste, pour qui ce n’était pas un programme au départ, a adopté cette dimension islamophobe, cette politique du bouc-émissaire, en suivant cette tendance à l’extrême droitisation et en cherchant à aller sans cesse sur le terrain du FN/RN.

Le deuxième ensemble de traits de fascisation s’observe dans la montée implacable du FN/RN, en particulier en termes électoraux. Comme si désormais, il était tenu pour une évidence que Marine Le Pen soit au second tour. L’hypothèse de son élection n’en devient plus absolument lunaire, tout comme celle d’alliances nouées avec des gens de LR pour constituer une majorité à l’Assemblée nationale, avec des corps de l’appareil d’État comme la police et l’armée qui ne verraient pas grand chose à redire à cette arrivée au pouvoir du FN/RN. Il n’y a pas véritablement de raison d’imaginer qu’il y aurait une grande résistance à une telle élection.

Le troisième point, ce sont les groupes ou les individus qui sont de plus en plus présents dans le champ médiatique et l’espace public et qui peuvent apparaître même à la droite de Marine Le Pen elle-même et qui la font presque passer comme relativement modérée, comme Gérald Darmanin a pu le dire lors d’un débat télévisé.

  • Emmanuel Macron est-il un acteur de cette fascisation ?

Il s’installe délibérément sur ce terrain, il légifère sur ce terrain. Il opère une espèce de stratégie du choc où il ne s’agit même plus de négocier avec les partenaires sociaux. Ce qui explique aussi une très forte impopularité d’Emmanuel Macron à gauche mais aussi à droite. Cela l’amène à cette extrême droitisation et à la tactique du bouc émissaire, qui passent aussi par la voix de ses ministres. Quand on voit un Jean-Michel Blanquer ou une Frédérique Vidal mobiliser le registre infâme de l’islamogauchisme, y compris au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, on est vraiment dans une surenchère terrible, qui n’a plus de freins. Même chose avec la manière dont des opérations policières sont complètement validées, comme si le gouvernement ne tenait plus véritablement sa police. On a vraiment le sentiment que c’est le gouvernement qui fait allégeance à sa police - comme le montre la présence de Darmanin devant l’Assemblée nationale lors de la manifestation des policiers en mai 2021 -, plutôt qu’il ne la contrôle.

  • À quel moment risque-t-on de basculer vraiment ?

Les processus de fascisation ne sont jamais linéaires, ils sont chaotiques, ils sont tourbillonnants. Ce n’est pas un processus implacable, il y a des courants et contre-courants. Regarder les corps de l’État qui sont consacrés à la sécurité et à la répression est un bon critère pour évaluer les points de bascule. Quand il y a des morts ou des blessés extrêmement graves au cours des mobilisations ou encore, évidemment, dans des commissariats des quartiers populaires. Nous insistons sur cette dimension : il n’y a pas eu d’abord un laboratoire de la violence policière dans les quartiers populaires qui ensuite s’est étendue. La différence est une différence de nature : ce sont des personnes qui sont visées pour ce qu’elles sont, des personnes racisées et des personnes issues de l’immigration ou issues de l’immigration post-coloniale, sans qu’il y ait le moindre souci de la part du pouvoir en place de freiner cette tendance-là.

Un autre critère, c’est la dimension liberticide des lois et donc une banalisation de la violence politique, policière et sociale qui avance comme un rouleau compresseur, sans qu’il puisse y avoir suffisamment de contestations ou quand contestation il y a, elle est immédiatement réprimée.

Il y aurait peut-être un troisième critère, que l’on essaye de démontrer en parlant du macronisme comme un autoritarisme du capital. Dans les années 80 a émergé cette matrice idéologique selon laquelle il fallait faire un vaste gouvernement de coalition, où la gauche et la droite constituent le camp des modérés, des gens soi-disant raisonnables. Ce que disaient Jacques Delors et Alain Juppé notamment. La notion d’extrême-centre nous semble particulièrement utile à mobiliser pour caractériser ces politiques, qui sont violentes. Ce troisième trait est réalisé par Macron, officiellement ni de gauche ni de droite, et gauche et droite. En réalité, il s’agit bien d’une vraie droite dure, sous les apparences d’un discours supposément réconciliateur. C’est ce troisième critère qui indique justement des traits, sinon de basculement, du moins d’accélérations d’une situation inquiétante et grave.

  • Quelles sont les pistes de lutte ?

L’antifascisme traditionnel est toujours là : tous ces collectif antifascistes qui observent de près l’extrême droite, qui analysent son projet, qui refusent de considérer qu’elle aurait mis de l’eau dans son vin et qui la combattent dans la rue pour ne pas lui laisser l’espace public.

Ensuite, il faut justement documenter les politiques qui sont menées. Refuser de les banaliser et donc participer évidemment à toutes les mobilisations sans distinction. Par exemple, c’est ce que j’ai mentionné à propos de la loi séparatisme. On n’a pas vu de grandes mobilisations dans la rue pour lutter contre cette loi. La solidarité entre ces mobilisations me semble une piste très importante. Et puis, voilà j’articulerais systématiquement le travail de documentation, d’information, d’analyse à celui de mobilisation.

Et enfin, il faut aborder la question du capitalisme, revenir aussi à cette logique de mise en marché totale de toute existence et se dire que ce n’est pas une fatalité. Pendant plusieurs décennies, on a considéré que le capitalisme était une évidence, mais ce n’est plus possible d’être dans cette résignation-là. Ce sont des terrains qu’il faut articuler, qui sont complémentaires : ne rien laisser passer dans la banalisation du racisme ordinaire et de cette violence, mais aussi aller à la racine des choses.

Pour cela, il ne faut pas cloisonner les thèmes de nos engagements. L’antifascisme est absolument nécessaire, mais il doit être articulé à d’autres luttes, notamment les luttes féministes. C’est très important parce que l’extrême droite a des choses à nous dire sur tous ces domaines. Par exemple, elle peut se targuer d’être féministe, mais en réalité, c’est pour mieux afficher certaines formes de racisme. C’est pareil pour l’écologie, qu’elle intègre dans un programme identitaire. Donc il nous faut être conséquent·es, en quelque sorte. Rassembler tous les domaines, car cloisonner c’est prendre le risque de les voir récupérés par l’extrême droite.

P.-S.

Propos recueillis par AL

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