Crise bancaire internationale : que faire ?

vendredi 29 septembre 2023, par Plihon Dominique

Quinze ans après la crise financière de 2007-2008, le système bancaire international s’est à nouveau trouvé au bord du gouffre en 2023. Comment cela a-t-il été possible, quelles sont les conséquences de cette crise et comment en tirer les leçons ?

Ce texte est tiré du dernier numéro de notre trimestriel, Lignes d’Attac, disponible en adhérant ou en s’abonnant.

La crise bancaire a été déclenchée en mars 2023 à la suite de l’effondrement de la Silicon Valley Bank (SVB) aux États-Unis et s’est propagée en Europe avec la faillite de Crédit Suisse. Ces deux banques ont été victimes d’un mouvement de panique, provoquant un retrait d’argent massif et brutal de leurs clients.

Cela a amené les autorités monétaires à fermer SVB par crainte d’une contagion à l’ensemble du système bancaire. Et à mobiliser 160 milliards de dollars (150 milliards d’euros) pour répondre aux besoins d’autres banques et rassurer leurs déposants. De leur côté, les autorités helvétiques ont octroyé un prêt massif de 50 milliards de francs suisses. Cette politique ne semble pas totalement efficace, car la liste des banques états-uniennes en difficulté s’est allongée notamment avec la Signature Bank, la Silvergate Bank et la First Republic Bank.

L’aveuglement des marchés

Les premières explications avancées à la défaillance de ces banques étaient la mauvaise gestion des dirigeants et leur implication dans des activités à risque et/ou douteuses. Ainsi, SVB était spécialisée dans le financement des start-up de la Silicon Valley, tandis que Signature Bank et Silvergate étaient des actrices importantes des crypto-monnaies. De son côté, Crédit Suisse était plombé par son trafic dans le domaine de l’argent sale…

Pointer les problèmes spécifiques des banques ne suffit toutefois pas à expliquer ces défaillances bancaires en chaîne. Ces dernières révèlent en réalité la fragilité structurelle du système bancaire international, dominé par les marchés et la logique spéculative. Les acteurs supposés anticiper les difficultés financières, en particulier les agences de notation et les analystes financiers, n’ont pas vu venir cette nouvelle crise bancaire globale.

La responsabilité des autorités monétaires

Les banques centrales, responsables de la stabilité du système bancaire, ont joué le rôle de « pompiers – pyromanes » face à cette nouvelle crise . Pour éteindre l’incendie de la crise financière de 2007-2008, les banques centrales avaient mené une politique d’argent à bon marché, baissant les taux d’intérêt à des niveaux proches de 0 %. Les banques commerciales en ont profité pour développer leurs financements, en particulier dans l’immobilier et les secteurs à risque, et pour procéder à des achats massifs de titres sur les marchés financiers. Ce qui a conduit à une financiarisation dangereuse de l’activité bancaire.

Mais à partir de 2021, les banques centrales ont durci brutalement leur politique monétaire en vue d’endiguer l’inflation qui s’était accélérée à la suite de la crise sanitaire et des tensions géopolitiques. Ainsi, les taux directeurs de la Fed, la banque centrale des États-Unis, sont passés de 0 % à près de 4,75 % en un an. Ce fut un choix contestable pour deux raisons.

En premier lieu, cette politique est inefficace face à une inflation dont les causes ne sont pas monétaires mais structurelles : crise de l’énergie, guerre en Ukraine, augmentation des prix par les entreprises pour augmenter leurs marges dans un capitalisme prédateur.

Deuxième erreur : la hausse brutale des taux d’intérêt a été l’une des causes de la crise bancaire. L’un des canaux principaux de cette instabilité a été l’effondrement de la valeur des obligations (sur le marché où s’échangent les titres de dette) dont les banques s’étaient gavées pendant la période d’argent à bon marché : lorsque les taux augmentent, les nouveaux titres émis sont plus rémunérateurs que les anciens, dont le cours baisse mécaniquement à la revente sur les marchés.

C’est pour cette raison que, constatant la dépréciation brutale des titres détenus par la SVB, ses clients ont perdu confiance et se sont rués pour retirer leurs dépôts, précipitant la défaillance de leur banque. Ce qui a déclenché un mouvement de défiance généralisé dans le système bancaire états-unien.

Ainsi, les autorités monétaires sont responsables d’avoir sous-estimé l’influence de la politique monétaire sur la stabilité financière. De plus, on doit tenir les autorités états-uniennes responsables d’avoir allégé la réglementation bancaire, alors-même que celle-ci n’avait pas été suffisamment renforcée à la suite de la crise financière de 2007-2008. C’est ainsi qu’en 2018, sous l’administration Trump, il a été décidé de remonter (de 50 à 250 milliards de dollars) le seuil à partir duquel une banque est soumise à une surveillance renforcée. Or SVB, comme la plupart des banques états-uniennes défaillantes depuis mars 2023, se situait en-dessous de ce seuil de 250 milliards…

Le pouvoir des grandes banques s’accroît de crise en crise

Les grandes banques ont été les principales profiteuses de la politique de sauvetage des banques en difficulté par les autorités monétaires. Ces autorités ont en effet favorisé le rachat des banques en faillite par les grandes banques ; de même que Lehman Brothers avait été reprise par la Barclays en 2008, on a assisté en 2023 au rachat de la First Republic Bank par JP Morgan et de Crédit Suisse par UBS (Union des banques suisses).

Dans chaque cas, les repreneurs sont classés parmi les plus grosses banques à l’échelle mondiale et dans leurs pays respectifs. Par ailleurs, il s’agit de banques dites « systémiques », trop grosses pour faire faillite (too big to fail) qui présentent un danger potentiel considérable pour la stabilité du système bancaire. En effet, outre leur taille considérable, ces banques sont étroitement interconnectées, de telle sorte que la défaillance de l’une d’entre elles risque d’engendrer, par un effet de domino, une crise du système bancaire international.

Ainsi, les politiques de sauvetage des banques peuvent être analysées comme une véritable fuite en avant des autorités monétaires qui hypothèque l’avenir du système monétaire. Par leur faute, les autorités publiques subissent désormais le pouvoir des grandes banques : trop grosses pour faire faillite, ces dernières contraignent les autorités publiques à les financer avec l’argent du contribuable en cas de difficulté. Les États sont sous la coupe des marchés et des oligopoles bancaires. Ce qui pose un véritable problème de démocratie.

Tirer les leçons de la crise pour reprendre la main

Des réformes s’imposent à deux niveaux : reprendre le contrôle des banques, et réformer la politique des banques centrales.

Concernant les banques, il faut éviter qu’une faillite puisse entraîner une crise systémique qui oblige ensuite la puissance publique à payer les pots cassés. Cette crise doit être l’occasion de mener une véritable réforme bancaire visant à réduire le nombre d’acteurs systémiques, réforme qui n’a pas eu lieu après la crise financière de 2008. Une des mesures principales doit être la séparation des activités de banque de détail et de banque d’investissement.

Cette mesure, que le lobby bancaire a toujours combattue, a prouvé son efficacité dans le passé : les historiens de la finance ont montré que le Glass-Steagall Act (1933), mis en œuvre après la crise de 1929, a contribué à la stabilité du système bancaire états-unien dans les décennies qui ont suivi. La France avait également institué en 1945 une séparation des activités de dépôt, de crédit à moyen et long terme et d’investissement, qui a elle aussi été synonyme de stabilité lors de l’après-guerre.

Cette réforme est aujourd’hui particulièrement nécessaire en France où le système bancaire est contrôlé à 80 % par quatre grandes banques universelles systémiques (BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale et BPCE). La séparation des activités d’affaires et de détail ouvrirait alors la voie à la socialisation d’une partie du secteur bancaire, afin de créer une alternative au secteur bancaire capitaliste et financiarisé actuel.

En effet, les plus grandes banques de détail nées de cette séparation pourraient être nationalisées et regroupées dans un pôle public bancaire. Ce pôle public bancaire serait doté d’une gestion associant l’État, les collectivités publiques, les usagers, ainsi que les salarié·es, et pourrait constituer la base d’un circuit du Trésor modernisé grâce auquel l’État ne serait plus soumis aux marchés financiers.

Réorienter les financements vers les secteurs d’avenir

La politique des banques centrales doit également être réformée. Voir les banques centrales apporter en urgence des milliards pour secourir sans aucune condition les banques commerciales en difficulté n’est pas acceptable. Il faut éviter que les banques commerciales bénéficient d’un soutien quasi-illimité des banques centrales, sans pour autant devoir modifier leurs pratiques, ni orienter le crédit prioritairement vers les secteurs de l’économie écologiquement et socialement utiles. La BCE devrait ainsi apporter son soutien en priorité, et à des taux d’intérêt préférentiels, aux banques qui remplissent un objectif de prêts en conformité avec des objectifs climatiques et environnementaux.

De plus, la politique monétaire doit être coordonnée avec les politiques budgétaire et fiscale, et s’inscrire dans le cadre de la planification écologique. Dans ce but, il est indispensable de mettre fin à l’indépendance des banques centrales et de renforcer les contrôles parlementaires sur leur action. Ces contrôles permettraient de superviser les opérations de sauvetage des secteurs bancaire et financier, et d’imposer des contreparties à ces sauvetages.

En conclusion, cette crise bancaire globale est révélatrice de la dépendance actuelle du modèle d’accumulation du capital à l’intervention de la puissance publique. Elle doit être l’occasion de réorienter l’intervention publique vers les objectifs sociaux et écologiques, et non de concourir à la survie d’un système économique néfaste et à bout de souffle.

Dominique Plihon

P.-S.

Crédit photo : Miquel Paquera (License Unsplash)

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