Écocide, une incrimination pénale chargée d’une dimension écosystémique

mardi 29 septembre 2020, par Valérie Cabanes *, Marine Calmet *

Le 20 juin dernier, les membres de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) ont voté à 99,3 % en faveur de la reconnaissance du crime d’écocide et des limites planétaires dans le droit français. Une proposition qui s’est, au cours des débats, imposée comme une des mesures phares. Pour les citoyennes et les citoyens, il s’agit “d’adopter une loi qui protège les écosystèmes de la dégradation et de la destruction, en faisant porter la responsabilité juridique financière sur les auteurs des déprédations”. Explications

Jamais deux sans trois… Les membres de la CCC ont relevé le pari de la reconnaissance du crime d’écocide en droit français, malgré deux tentatives avortées. La première proposition de loi avait été déposée par le sénateur Jérôme Durain et rejetée le 2 mai 2019. La deuxième émanait du député Christophe Bouillon et n’avait pas eu plus de succès, malgré les amendements déposés pour tenter de sauver le texte. La majorité présidentielle s’était encore une fois prononcée contre le texte le 12 décembre 2019.

Il aura fallu l’intervention des membres de la CCC pour relancer l’espoir de voir cette proposition aboutir. ​​En effet, en novembre 2019, les associations Wild Legal, Nature Rights et Notre affaire à tous ont déposé une contribution conjointe ’Pour la reconnaissance de l’écocide et des limites planétaires’. Le groupe Se nourrir décide alors de se saisir du sujet et aboutit à une proposition pour la reconnaissance du crime d’écocide.

Lire la proposition adoptée par la Convention citoyenne pour le climat.

La réaction du gouvernement

L’écocide est une notion structurante et nous avons besoin d’évoluer et d’avancer sur ce point”, annonce le 29 juin le président de la République lors d’une conférence à l’Élysée en présence des citoyens de la CCC. Il s’engage à donner suite à la proposition légiférer sur le crime d’écocide, et annonce la création d’un groupe de suivi pour finaliser le texte, ainsi que la tenue potentielle d’un référendum courant 2021.

À quoi faut-il s’attendre ? Un premier projet de loi contenant un tiers des propositions émises par la Convention citoyenne pour le climat est annoncé pour l’automne 2020. Difficile de savoir si le crime d’écocide y sera inscrit, mais, au vu des premières annonces, cela semble improbable. Ce qui est certain, c’est que les membres de la Convention, constitués en association –Les 150 sont bien décidés à surveiller la progression des travaux du gouvernement.

Les enjeux

Les citoyens ont entendu se doter de plusieurs outils afin de réformer en profondeur les dispositions légales relatives à la protection de l’équilibre et de l’habitabilité des écosystèmes.

Pour cela, la proposition s’appuie sur trois piliers. Tout d’abord, l’inscription des limites planétaires dans le droit français. Les limites planétaires sont des seuils définis par une équipe internationale de 26 chercheurs, menés par Johan Rockström et Will Steffen. Ces scientifiques ont identifié, dès 2009, neuf processus et systèmes régulant la stabilité et la résilience du système terrestre. Inscrit au sein du code de l’environnement en tant que sixième objectif de développement durable, au même titre que la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité, l’objectif de la démarche est de revoir la structure et de renforcer notre droit de l’environnement. En effet, dans le système de normes actuel, les activités humaines sont encadrées dans divers codes et les politiques sont réparties entre différents ministères. Ces lois scindent les écosystèmes en entités distinctes, une approche incompatible avec le fait qu’ils sont étroitement liés et interdépendants. La CCC suggère donc d’adopter une conception écosystémique du droit pour renforcer son efficacité.

Ensuite, la CCC propose de mettre en place une Haute autorité des limites planétaires, une autorité indépendante qui refondrait les autorités administratives existantes (Haut conseil pour le climat, Conseil national de la transition écologique, Autorité environnementale, Conseil national de la protection de la nature…) dont les pouvoirs se réduisent comme peau de chagrin. L’objectif est de doter la France d’une autorité forte, centrale, dont l’expertise permettrait de garantir une politique écologique transdisciplinaire cohérente.

Cette autorité aurait pour mission de transposer les limites planétaires – définies à l’échelle mondiale – à la France. En effet, leur reconnaissance au niveau national en est encore à un stade préliminaire. Cependant, le dernier Rapport sur l’état de l’environnement en France publié par le ministère de la transition écologique énonce « qu’outre le fait de constituer un cadre d’analyse novateur, l’approche inédite des limites planétaires correspond à la nécessité d’actualiser les informations environnementales en offrant aux citoyens et aux décideurs une compréhension plus globale de la situation nationale ». À terme, l’objectif est donc de se doter des compétences scientifiques et d’une institution capable d’éclairer les politiques publiques en donnant un avis sur l’ensemble des lois, règlements, programmes et plan nationaux, ainsi que sur les projets susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement, et ainsi d’évaluer leur compatibilité avec le respect des limites planétaires.

Enfin, le troisième axe de proposition de la CCC repose sur la reconnaissance en droit français du crime d’écocide. Consciente du fait que le droit pénal environnemental doit renforcer son arsenal dans la lutte contre les atteintes portées à la nature, elle a souhaité apporter son soutien à ce concept novateur, afin de proposer une incrimination pénale chargée d’une dimension écosystémique capable d’appréhender les enjeux liés au fait que les mécanismes biologiques de nos territoires sont étroitement liés et interdépendants.

Suivant la même logique que les limites planétaires, cette proposition vise à sanctionner un acte mettant en danger la stabilité des écosystèmes et ayant causé des dommages écologiques graves. Il s’agit de poursuivre les cas les plus importants d’atteinte aux équilibres biologiques de nos territoires, telles que les pollutions industrielles massives, les projets climaticides contraires aux engagements de l’Accord de Paris, etc. Afin d’avoir un effet dissuasif lorsque l’écocide est commis intentionnellement, la formulation retenue par les citoyens prévoit une peine de vingt ans de réclusion criminelle et 10 millions d’euros d’amende dont le montant peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 20 % du dernier chiffre d’affaires connu à la date de la commission des faits. Lorsque l’écocide est commis de façon non intentionnelle mais en raison d’un manquement à la prudence, la proposition de sanction est de cinq ans d’emprisonnement et de 1 000 000 € d’amende, dont le montant peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement à 10 % du dernier chiffre d’affaires connu à la date de la commission des faits. Cette proposition est inspirée des peines applicables en matière de criminalité économique, notamment dans le cas de pratiques anticoncurrentielles.

Le crime d’écocide est pensé pour contraindre et sanctionner les entreprises qui ont la capacité, par leurs actions, de porter atteinte à l’équilibre de nos écosystèmes et donc à l’intégrité de nos territoires. La CCC a voulu penser l’inscription des limites planétaires et l’écocide dans le droit de manière complémentaire afin de doter les acteurs économiques et l’État d’un nouveau référentiel biocentré en matière de développement durable, tout en garantissant que celui-ci soit contraignant.

Une définition définitive est toujours en cours d’élaboration et le suivi de la transposition de cette mesure devra faire l’objet d’une coordination entre les services du ministère de la transition écologique et du ministère de la justice.

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