Réforme de l’assurance chômage 2019 : Les personnes les plus précaires, dont les femmes, sont ciblées

vendredi 3 avril 2020, par Odile Merckling *

La réforme de l’assurance-chômage programmée dès l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron devait permettre, en contrepartie d’une flexibilisation de l’emploi accrue, « d’universaliser le régime » et de limiter le recours aux contrats de courte durée. Or, la loi Pénicaud du 5 septembre 2018 et les décrets consécutifs n’ont fait en réalité qu’aggraver la situation [1]. Ces décrets entraînent en effet un durcissement des contrôles et des sanctions envers les demandeurs et les demandeuses d’emploi (DE), un abaissement des droits à indemnisation - déjà très insuffisants - et une remise en cause de la négociation collective.

Les catégories les plus précaires sont les plus ciblées par cette réforme. Globalement, celle-ci marque, en effet, un retour à une conception très individualisée de la protection sociale, au détriment de la solidarité envers les démunis, qui avait été un principe fondant la Sécurité sociale après 1945. La création de l’assurance chômage en 1958, sur une base plus assurantielle, a répondu à la volonté patronale de lier les prestations aux contributions des salariés - volonté réaffirmée dans les années 2000, avec le principe : « Un jour cotisé, un jour indemnisé », qui a en fait très peu de sens [2].

Dans le même temps, le gouvernement communiquait largement sur le thème de la « reprise de l’emploi », des besoins en main d’œuvre non satisfaits des entreprises et de la nécessité, pour les DE, de reprendre rapidement un emploi. Depuis la fin 2018, en effet, le nombre de DE a baissé de 145 000 - sur 6,57 millions précédemment inscrits - soit d’environ 2,2 % [3]. Cependant, une partie des emplois repris ne relèvent pas, en réalité, du statut de salarié et peu de données permettent de juger de la qualité et de la durabilité des emplois créés. D’autre part, la catégorie D des demandeurs d’emploi (ceux placés en formation professionnelle) a nettement augmenté.

I. Le contexte de la réforme

Les situations intermédiaires entre l’emploi et le chômage sont devenues de plus en plus fréquentes depuis 25 ans. Le taux de recrutements en CDD parmi les nouvelles embauches n’a cessé d’augmenter, jusqu’à atteindre 85 % - dont 66 % pour les CDD de moins d’un mois [4]. Le nombre de demandeurs d’emploi qui travaillent « en activité réduite », alternant fréquemment des périodes de travail et de chômage, a été multiplié par 3,5 depuis 1996, pour atteindre 2,2 millions… Un chômeur indemnisé sur deux travaille aujourd’hui en activité réduite. Face à cette évolution, « un revenu continu, pour un emploi discontinu » est devenu une revendication légitime des chômeurs et des précaires, bien au-delà des seuls intermittents du spectacle - qui bénéficient quant à eux depuis 1979 et 1984, du régime défini par les annexes VIII et X de la Convention Unedic [5].

Depuis les années 1990, d’abord dans le cadre de l’allocation unique dégressive, puis surtout en 2001, avec l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE), les conventions Unédic ont autorisé, sous certaines conditions, le cumul partiel d’une allocation chômage et d’un revenu du travail [6]. De plus, la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions [7] a prévu des possibilités de cumul pour les bénéficiaires de l’ASS, des tarifs réduits à l’intention des chômeurs sur les transports et les fluides - électricité, eau, gaz - et la création de la CMU complémentaire.

Des conventions Unédic ultérieures et surtout celle de 2014 (avec l’introduction des « droits rechargeables ») ont modifié les conditions de cumul. Celui-ci est devenu possible dans les limites du montant du salaire antérieurement perçu et de la durée totale des droits du DE, afin de faciliter l’acceptation par un DE de la reprise d’un emploi même de courte durée et/ou à temps partiel ; les dispositifs dits « d’intéressement » devant assurer que la reprise d’un emploi, même précaire, soit plus avantageuse que le chômage. Après 2014, l’intérêt de reprendre une activité réduite était, par ailleurs, lié à la possibilité d’obtenir un rechargement de ses droits à allocations à partir de 150 heures de travail [8].

Le régime des intermittents, qui par définition, permet ce cumul pour les professions du spectacle, a été quant à lui très menacé par la réforme de 2003 - notamment pour répondre à une rapide extension des effectifs couverts par les annexes VIII et X - puis l’a été à nouveau en 2014-2016, des mobilisations massives ayant permis d’obtenir sa pérennisation, avec un retour à la durée d’un an (date anniversaire) pour le recalcul des droits.

En 2008, les conditions d’accès au régime général ont été assouplies : il suffisait désormais d’avoir travaillé 4 mois sur les 28 derniers mois (au lieu de 6 mois sur 22 mois auparavant), ce qui a permis d’intégrer au régime plusieurs centaines de milliers de jeunes qui n’avaient pas droit à des indemnités.

La Convention Unédic de 2017 a marqué un retour en arrière. D’une part, elle a modifié les règles de calcul du salaire journalier de référence (SJR), en limitant à 5 par semaine le nombre de jours de travail pris en compte et en introduisant un coefficient multiplicateur (x 1,4) qui permet de passer du nombre de « jours travaillés » au nombre de « jours calendaires » - ceci afin d’intégrer les samedis et les dimanches dans le calcul du SJR, même pour des périodes de travail très courtes. D’autre part, le démarrage de la filière des « seniors » qui bénéficient de conditions d’accès plus faciles et d’une durée d’indemnisation de 3 ans au lieu de 2, a été repoussé de 50 à 53 ans. L’annexe 4 de la Convention Unédic, qui prévoyait des compensations à la précarité subie par les intérimaires et réglementait les conditions de cumul d’une allocation et d’un salaire dans leur cas précis, a été supprimée - ce qui a ramené dans le régime général plusieurs centaines de milliers d’intérimaires, en réduisant fortement leurs allocations.

Le contexte de la réforme de 2019 est aussi celui d’une très forte dégradation de la santé au travail depuis dix ans. Près d’un million de salariés quittent chaque année volontairement leur emploi dans le cadre d’une démission. La possibilité de quitter volontairement un emploi, pour un salarié en souffrance au travail et/ou victime de harcèlement, tout en bénéficiant d’indemnités chômage et de conditions favorables à une reconversion, n’existe toujours pas. La hausse des ruptures conventionnelles, depuis l’instauration de cette possibilité en 2008, a par ailleurs été très rapide, celles-ci représentant désormais 21 % du budget alloué à l’indemnisation des demandeurs d’emploi.

II. Les effets attendus des différentes mesures de la réforme de 2019

La réforme de 2019, qui affirme une volonté de lutter contre la « permittence » (alternance de périodes d’emploi et de chômage), tout en tenant les DE comme responsables de leur précarité d’emploi, va très nettement à contresens des quelques améliorations obtenues durant ces 20 dernières années, alors même que les recrutements des entreprises sont aujourd’hui encore effectués à plus de 80 % en contrats précaires et que les fins de CDD représentent près de la moitié du budget alloué à l’indemnisation des DE [9].

Les salariés cumulant des CDD de courte durée, intérimaires, vacataires, pigistes, contractuels de recherche, d’enseignement ou de formation, employés chez des particuliers… vont être les plus pénalisés par la réforme et vont, pour certains d’entre eux, cumuler des effets négatifs de plusieurs mesures :

- du fait d’un durcissement des conditions d’accès à l’indemnisation ou de rechargement des droits ;

- du fait du nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence - SJR - qui abaisse celui-ci en fonction d’un coefficient « d’intensité du travail » ;

- et du fait de la quasi-disparition des possibilités de cumuler une allocation chômage avec un revenu d’activité.

La restriction des conditions d’accès à l’indemnisation

Depuis le 1er novembre 2019, il faut avoir travaillé au moins 6 mois au cours des 24 derniers mois, au lieu de 4 sur les 28 derniers auparavant. Plusieurs centaines de milliers de personnes (sur 2,7 millions qui auraient ouvert des droits) sont donc exclues du régime [10]. Au total, sur 6,4 millions de DE inscrits en fin 2019, un tiers pourraient désormais être indemnisés, au lieu de 43 % avant la réforme ; la catégorie des demandeurs d’emploi inscrits « non indemnisables » par une allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) parce qu’ils n’ont pas travaillé assez, représentant 40 % des DE [11]. Les personnes exclues sont pour près de la moitié des jeunes de moins de 30 ans (dont des étudiants qui travaillent en périodes de vacances), puis des saisonniers, des intérimaires et des femmes qui font des vacations ou des contrats d’extra, notamment dans l’hôtellerie...

Le nouveau mode de calcul du SJR et de l’allocation journalière

Les demandeurs d’emploi en emploi discontinu seraient les plus fortement pénalisés par la nouvelle méthode de calcul. En effet, celle-ci prend en compte un « coefficient d’intensité de travail », calculé en rapportant le nombre de jours travaillés au nombre total de jours durant la période de référence - qui va du premier jour du premier contrat au dernier jour du dernier contrat, sur les deux dernières années.

À partir de la mise en application de cette seconde partie de la réforme (reportée au 1er septembre 2020), 850 000 personnes sur un an devraient subir une baisse du SJR par rapport à ce qu’il aurait été avant la réforme, cette baisse étant supérieure à 25 % pour plus de la moitié d’entre elles. Selon le rapport de l’Unédic de septembre 2019 :

- si le coefficient d’intensité de travail est compris entre 25 et 49 %, le montant de l’allocation mensuelle devrait passer en moyenne de 868 € à 431 € ;

- si ce coefficient est compris entre 50 % et 74 %, l’allocation mensuelle passerait en moyenne de 897 € à 679 € ;

- si le coefficient est supérieur à 75 %, l’allocation serait peu modifiée.

Une limitation des possibilités de cumul d’une allocation et d’un revenu d’activité

Selon la règle dite « de l’activité reprise » (pour un DE au chômage total qui reprend une activité de courte durée ou à temps partiel) l’allocation-chômage est amputée de 70 % du montant des revenus de l’activité reprise, cette allocation étant désormais calculée sur la base du nouveau salaire journalier de référence, donc souvent inférieure. En plus, l’article 31 du décret du 26/07/2019 limite les possibilités de cumul allocation + salaire au montant du salaire mensuel de référence, qui est nettement plus bas pour les DE en emploi discontinu. Par exemple, pour une personne qui touche habituellement 1600 euros bruts, mais qui n’a pu travailler que 6 mois répartis sur toute une année, elle ne pourrait « cumuler » que jusqu’à hauteur de 800 euros - ce qui correspond à son salaire mensuel moyen - au lieu de 1600 € auparavant.

Cette limitation du cumul ne concerne cependant pas les salariés ayant eu plusieurs employeurs ; ils sont en effet soumis, en cas de perte d’un ou plusieurs de leurs emplois, à la règle dite « de l’activité conservée ». Or cette règle a été maintenue, au moins pour les trois prochaines années, grâce à la mobilisation, de novembre 2018 à juillet 2019, des assistantes maternelles organisées dans le collectif des Gilets roses et soutenues par la Fédération CGT des services.

Il en résulte un relatif statu quo pour les personnes ayant eu plusieurs employeurs dans la période de deux ans qui précède la perte d’un de leurs emplois, ce qui peut concerner plus d’un million de personnes : pigistes, salariés de services à la personne, dont des assistantes maternelles - environ 400 000. À noter cependant qu’une partie des assistantes maternelles ne demandent pas à bénéficier de leurs droits à des allocations chômage, de crainte d’avoir ensuite à rembourser des « trop perçus » à Pôle emploi - le calcul de leurs indemnités, très complexe, faisant fréquemment l’objet d’erreurs de la part des services de PE.

Une limitation de la portée des « nouveaux droits » pour les démissionnaires et les indépendants

L’objectif d’une universalisation du régime d’assurance chômage n’a pas été atteint. Malgré les promesses faites par Macron, en fait, les mesures prises en vertu du décret du 26/07/2019 concernant les nouveaux droits des démissionnaires ne concerneraient que 20 000 à 30 000 personnes par an [12]. Les conditions sont très restrictives, car il faut, pour bénéficier d’indemnités, avoir été affilié au moins pendant cinq ans au régime d’assurance chômage en étant continument employé dans une même entreprise et avoir élaboré, avec un conseiller en évolution professionnelle, un projet de reconversion agréé par une Commission paritaire régionale (CPIR), incluant une formation ou la création d’une entreprise… Des contrôles de la bonne réalisation de ce projet sont ensuite régulièrement pratiqués par les services de Pôle emploi.

La possibilité de bénéficier d’indemnités de chômage, à hauteur de 800 euros pendant 6 mois, reste, de même, très limitée pour les anciens indépendants, qui doivent fournir la preuve - documents fiscaux à l’appui - d’un chiffre d’affaires d’en moyenne 10 000 euros par an sur deux ans et d’une mise en liquidation ou redressement judiciaire, ce qui exclut de fait la grande majorité des micro-entrepreneurs et des travailleurs subordonnés à des plateformes.

III. Les catégories ciblées : femmes, jeunes, séniors, salariés en emploi discontinu

Les femmes, les jeunes et les séniors, souvent utilisés par les entreprises comme des variables d’ajustement, et qui peuvent travailler en emploi discontinu ou à temps partiel pour différentes raisons (études, santé, charges familiales…) sont davantage ciblés par les différentes mesures. Les femmes sont, en particulier, très touchées par le développement de formes d’emploi atypiques, avec en plus un risque de retour à des activités informelles - travail « au noir » ou « au gris » - ce qui augure mal, pour l’avenir, de la lutte en faveur de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes...

D’une part, les taux d’activité des femmes sont encore inférieurs de huit points à ceux des hommes, et le fait de ne pouvoir être indemnisées en cas de chômage est un élément qui peut les inciter à ne pas renouveler leur inscription à Pôle emploi. 60 % des personnes en CDD, 70 % des vacataires, 83 % des salariés à temps partiel, 56 % des demandeurs d’emploi en activité réduite sont des femmes. Si l’écart entre les taux de chômage des femmes et des hommes s’est nettement réduit depuis 15 ans, toutefois les femmes restent nettement plus souvent cantonnées dans le sous-emploi ou dans le « halo du chômage » [13].

Les situations de pluriactivité, de micro-entreprise et/ou de travail pour des plateformes numériques s’étendent actuellement [14]. Parmi les personnes qui occupaient plusieurs emplois en fin 2016 - soit 2,2 millions - on comptait deux tiers de femmes, beaucoup étant salariées dans les services à la personne ou bien occupant à titre principal un emploi salarié à temps partiel imposé [15].

Dans un certain nombre de secteurs, comme l’hôtellerie-restauration, les services à la personne, le médico-social, l’enseignement, la formation, les contrats de courte durée et à temps partiel concernent surtout des femmes. Le montant mensuel net moyen de l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) était en septembre 2017 de 910 €, dont 805 € pour les femmes et 1030 € pour les hommes [16]. Pour les personnes à temps partiel, lorsqu’elles ont droit à des allocations chômage, celles-ci sont souvent très basses, car calculées en fonction de la quotité du temps partiel. Il n’existe pas, en réalité, de montant minimal de l’allocation journalière pour les personnes ayant travaillé à temps partiel - quand bien même ce temps partiel a été subi et non choisi.

L’autonomie des femmes recule donc et la lutte contre le patriarcat également. Les individus sont systématiquement renvoyés, en cas de difficultés sociales, à la famille et à des formes traditionnelles de solidarité. Tout cela accroît la dépendance familiale, surtout pour les femmes et les jeunes – souvent jusqu’à 30 ans et plus. Les jeunes femmes, les femmes enceintes, celles qui ont des enfants en bas âge, celles qui vivent en famille monoparentale, celles qui sont en rupture familiale ou victimes de violences - déjà discriminées - vont être encore fragilisées.

Les femmes et les jeunes sont également touchés par un déclassement structurel d’ampleur. Des jeunes diplômés (dont beaucoup de femmes) sont incités à reprendre n’importe quel travail et se trouvent souvent relégués dans des petits boulots « d’attente » - du gardiennage, à la restauration rapide ou à la distribution - un « provisoire » qui dure de plus en plus longtemps. Au final, une partie d’entre eux ne peuvent pas utiliser leur formation initiale pour s’insérer professionnellement, ce qui recouvre des discriminations ayant un impact négatif sur la suite de leur carrière et un coût global pour la société.

Le nouveau système de contrôles et de sanctions des DE (décret du 28/12/2018) repose sur des modalités beaucoup plus arbitraires et expéditives, avec par exemple, des sanctions pour « recherche d’emploi jugée insuffisante » ou pour refus de deux « offres raisonnables d’emploi » (ORE), alors qu’aucune norme n’a été définie dans ce domaine. La définition d’une offre raisonnable d’emploi n’a plus de fondement objectif ; l’ORE étant définie, pour chaque demandeur d’emploi, lors d’un entretien avec son conseiller et pouvant varier fortement d’un conseiller à un autre, comme en fonction du sexe, du genre, de l’origine…

Ces modalités de contrôle vont inciter beaucoup de DE et de femmes à accepter de travailler avec des emplois de faible qualité, à temps partiel et bas salaires. D’autre part, les offres d’emploi dans le cadre de Pôle Emploi [17] sont de plus en plus dégradées ou inadéquates par rapport à la situation de la personne. Les annonces qui sont faites sur le site de Pôle emploi sont pour près de la moitié illégales, erronées, redondantes ou inexistantes (liens morts) [18]. Les offres d’emploi adressées aux femmes sont souvent très basses, ne comportant pas les mentions requises légalement, avec beaucoup de contrats CDD sans mention de durée du contrat ou de contrats à temps partiel ne mentionnant pas de volume horaire hebdomadaire. Les femmes demandeuses d’emploi sont souvent renvoyées vers des plateformes numériques de services à la personne. Les interventions chez des particuliers qui leur sont proposées sont d’un volume horaire moyen de 6 heures par semaine, nécessitent de longs déplacements. Il n’y a souvent pas de coordination des interventions, pas de planning d’horaires établi…

La lutte des assistantes maternelles

Beaucoup de femmes qui sont dans le métier d’assistante maternelle ont déclaré qu’elles ne pourront plus faire ce métier si elles n’ont plus la possibilité de toucher des allocations chômage, et qu’elles seront dès lors contraintes de changer de métier.

Les salariées des services à la personne ont les conditions d’emploi très aléatoires et ne maîtrisent pas l’évolution de leurs revenus. Les assistantes maternelles font souvent 60 heures hebdomadaires pour gagner le Smic. Un enfant peut à tout moment leur être retiré, s’il trouve une place en crèche ou si sa garde peut être assurée par un membre de la famille. Pour les agréments attribués par les PMI, des conditions très strictes sont définies dans chaque département, quant à la répartition par âge des enfants, ce qui rend difficile la reprise de la garde d’un nouvel enfant en remplacement de celui qui vient de leur être retiré. Des conditions de plus en plus strictes sont également définies, en termes de formation de l’assistante maternelle, de taille, d’hygiène d’aménagement et de sécurité du logement…

Cette réforme est donc le résultat d’une politique à très courte vue, qui vise à contraindre des personnes qui ont choisi un métier et qui s’y sont formées au travers d’une expérience de plusieurs années, à reprendre n’importe quel travail. Or, compte tenu de l’insuffisance des services publics (crèches, maisons de retraite…) l’activité des assistantes maternelles ou celle des aides à domicile s’avèrent essentielles pour permettre aux autres femmes de pouvoir travailler. Il faudrait au contraire revaloriser ces professions, encourager la formation et la professionnalisation de ces salariées...

La lutte des intermittents

De même, beaucoup d’intermittents du spectacle déclarent qu’ils ne pourront plus exercer leur profession, s’ils n’ont plus la possibilité de toucher des indemnités de chômage. Certains se retrouvent exclus du régime et soumis à la réglementation du régime général interprofessionnel, dès lors qu’ils ne parviennent pas à accumuler 507 heures en un an dans leur métier du spectacle et doivent travailler dans un autre secteur. Une partie des intermittentes, notamment suite à une grossesse, à un congé de maternité ou à des contraintes parentales (notamment en cas de famille monoparentale) se sont retrouvées à diverses reprises dans le dispositif du RSA pour des durées de quelques mois, voire davantage. Les services de l’emploi s’efforcent de les contraindre à travailler dans d’autres domaines.

Le régime des intermittents du spectacle (annexes VIII et X de la Convention Unédic), qui vise précisément à permettre le cumul d’allocations chômage et d’un revenu d’activité, pourrait servir de modèle pour l’indemnisation de toutes les catégories de DE en emploi discontinu [19]. Il est généralement présenté par le patronat et le gouvernement comme nécessaire, en raison des conditions d’emploi spécifiques des secteurs du spectacle et de la culture. En réalité, il n’a été maintenu que parce que les intermittents ont trouvé des moyens de se faire entendre dans les médias, lors de spectacles ou d’émissions télévisées, en bloquant des festivals… Les intermittents ont ainsi obtenu pour trois ans la pérennisation de leur régime ; mais ce dernier ne survivrait probablement pas à une disparition du régime général interprofessionnel.

Conclusion

Dans un contexte de crise, les tentatives du patronat et du gouvernement de stigmatiser les plus précaires, de séparer les salariés en emploi continu et discontinu, de cloisonner les catégories victimes de différentes formes de précarité, visent à susciter des comportements et des réactions corporatistes. Or, ces différentes catégories ont au fond de nombreux problèmes en commun et auraient intérêt à s’unir dans l’action contre la réforme de l’assurance chômage et pour la mise en place d’un système alternatif. Des revendications majeures concernent ainsi l’assouplissement des conditions générales d’accès aux différents régimes (interprofessionnel ou des annexes VIII et X), l’élargissement des possibilités de cumul d’une allocation et d’un revenu du travail et l’établissement d’un revenu minimum garanti à toutes les personnes.

Depuis le 17 mars 2020, étant donné la situation de crise et de confinement sanitaire, la mise en application des mesures concernant l’indemnisation du chômage prévues par le décret du 26/07/2019 a été reportée au 1er septembre 2020 et les contrôles et sanctions prévus par le décret du 28/12/2018 ont été « suspendus » jusqu’à nouvel ordre... Compte tenu de la gravité de ces mesures qui peuvent entraîner la privation totale de revenu de remplacement, l’abrogation de ces décrets abusifs apparaît indispensable. Un grand nombre de précaires sont ou risquent, en effet, de se retrouver d’ici peu démunis de ressources - ce qui les contraint à travailler même en période de confinement sanitaire. Il en est de même pour plusieurs mesures contenues dans la réforme des retraites (« âge pivot ») qui risquent d’entraîner, pour les années à venir, des déplacements de centaines de milliers de personnes du statut de retraité vers ceux de chômeur ou de salarié contraint de continuer à travailler, étant donné le très faible niveau de la pension de retraite.

Plusieurs recours en Conseil d’État ont été déposés, afin d’obtenir l’abrogation des décrets du 28/12/2018 et du 26/07/2019. [20]. Ils dénoncent notamment le caractère très arbitraire des contrôles et des sanctions envers les DE et le fait que ces décrets portent atteinte aux droits fondamentaux des DE, surtout en ce qui concerne le droit à un revenu de remplacement en cas de chômage [21]. Enfin, les mesures du décret du 26 juillet 2019 impliquent une rupture du principe d’égalité de traitement entre les citoyens, car des personnes ayant eu une même durée de travail totale sur les deux dernières années auraient des allocations de montants très différents, selon qu’elles ont eu une activité continue ou discontinue. Il s’agit de plus, en réalité, d’une forme de discrimination indirecte, surtout envers les jeunes [22].).

Face à la précarisation de l’emploi et à l’extension rapide de nouvelles formes de travail émiettées, des solutions doivent rapidement être trouvées, tant du côté de l’organisation du travail (avec la reconstitution de statuts d’emploi salarié, un développement des services publics…) que du côté de la création d’un système de Sécurité sociale universel et solidaire couvrant le risque du chômage et assurant la continuité des droits sociaux à toute personne. La Sécurité sociale professionnelle doit être placée au cœur d’une démarche de prévention des nombreuses pathologies liées au travail et d’une démocratisation de gestion de l’organisation du travail dans les entreprises.

Bibliographie

AC ! Agir ensemble contre le chômage : « Quels effets de la réforme de casse de l’assurance-chômage pour les demandeurs d’emploi ? », 20 janvier 2020.

AC ! - Pour une sécurité sociale chômage. Des droits nouveaux pour les chômeur-euses et les précaires, Éd. Syllepse, avril 2019.

Barnier Louis-Marie : « L’Unédic saisie par les droits fondamentaux des travailleurs. Sur quelques débats de fond concernant l’assurance-chômage », Les Possibles, n°18, automne 2018.

DARES et Pôle emploi : « Demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi au quatrième trimestre 2019 », Dares indicateurs, janvier 2020, numéro 002.

Fondation Copernic : Pour un Grenelle de l’Unedic, Syllepse, 2003.

Grégoire Mathieu : Les intermittents du spectacle. Enjeux d’un siècle de luttes, La Dispute, 2013.

Insee : Emploi, chômage, revenus du travailInsee Références, 2019.

Les Utopiques, Cahier de réflexions, Solidaires, Pour une protection sociale du XXIe siècle, n° 12, Hiver 2019-2020, Syllepse.

Merckling Odile : « Le « risque » chômage », Les Utopiques, n°12, p. 180.

Unédic : « Synthèse du rapport sur les perspectives financières de l’assurance chômage », Références, 2019-2022, septembre 2019.

Unédic : « Les allocataires qui travaillent. Qui sont-ils ? Quelles sont leurs activités ? Résultats de l’enquête 2018 », Éclairages, mars 2019.

Unédic : « La majorité des embauches en contrats courts se font chez un ancien employeur », Éclairages. Études et analyses, n° 14, janvier 2016.

Notes

[1Décret n° 2018-1335 du 28 décembre 2018 relatif aux droits et aux obligations des demandeurs d’emploi et au transfert du suivi de la recherche d’emploi ; Décret n° 2019-796 du 26 juillet 2019 relatif aux nouveaux droits à indemnisation, à diverses mesures relatives aux travailleurs privés d’emploi et à l’expérimentation d’un journal de la recherche d’emploi ; et Décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d’assurance chômage.

[2Voir AC ! Pour une sécurité sociale chômage, Syllepse, 2019 ; et Louis-Marie Barnier, « L’Unédic saisie par les droits fondamentaux des travailleurs, Sur quelques débats de fond sur l’assurance-chômage », Les Possibles, n°18, automne 2018.

[3Dares et Pôle emploi, 2020.

[4Selon les chiffres des déclarations préalables à l’embauche issus de Pôle emploi. Unédic Eclairages, 2016

[5Mathieu Grégoire, 2013.

[6La délibération n° 28 du 4 février 1997 de la Commission paritaire nationale de l’Unédic modifiée le 10 février 1998 et intégrée à la Convention d’assurance chômage du 01/01/2001.

[8Le nombre d’heures de travail mensuel, en cas de reprise d’une activité réduite, a d’abord été limité à 136, puis à 110 Heures, la rémunération étant limitée à 70 % de celle du salaire antérieur et la durée de cumul au maximum à 18 mois, puis à 15 mois.

[9Unedic, septembre 2019.

[10Unedic, septembre 2019.

[11Dares et Pôle emploi, 2020.

[12Unédic, septembre 2019.

[13Le halo du chômage regroupe des personnes non comptabilisées comme chômeuses, car elles ne répondent pas aux critères officiels de définition du chômage, ne recherchant pas activement un emploi ou n’étant pas immédiatement disponibles en vue d’en reprendre un…

[14Les pluriactifs représentent 8 % des personnes en emploi, certains cumulant une activité de salarié et une activité de micro-entreprise – Insee Références, 2019, p. 135.

[15Insee Références, 2019, p. 135

[16Insee Références, 2019, p. 115.

[17Voir le site.

[18Selon une étude réalisée chaque année depuis trois ans dans plusieurs régions par la CGT des privés d’emploi.

[19Voir le site « Un nouveau modèle d’indemnisation du chômage  », novembre 2014

[20Pour le premier décret, par l’Union syndicale Solidaires et les associations de chômeurs et pour le second, par les organisations syndicales CGT et Solidaires.

[21En référence au Code du travail, article L. 5421-1-2, à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

[22Une mesure en apparence neutre constitue une « discrimination indirecte » lorsqu’il peut être démontré qu’elle touche beaucoup plus défavorablement une catégorie de la population que les autres.

J’agis avec Attac !

Je m’informe

Je passe à l’Attac !

En remplissant ce formulaire vous pourrez être inscrit à notre liste de diffusion. Vous pourrez à tout moment vous désabonner en cliquant sur le lien de désinscription présent en fin des courriels envoyés. Ces données ne seront pas redonnées à des tiers. En cas de question ou de demande, vous pouvez nous contacter : attacfr@attac.org