Les principes du revenu d’existence universel

Mêlant à la fois des principes d’ordre philosophique (et donc éthique), politique et économique, le débat est souvent complexe. Pour en faciliter la compréhension, nous mettons en vis-à-vis les arguments favorables au revenu d’existence et ceux qui en montrent les limites ou les incohérences.

1) Sur le plan éthique et philosophique

Arguments en faveur de la mise en place d’un revenu d’existence universel
Parmi les arguments en faveur du revenu d’existence universel qui adoptent une perspective progressiste, le premier et peut-être le plus important se situe sur le plan philosophique et éthique. Tout être humain ayant droit à une vie décente, et même à une vie bonne, il convient de lui assurer un revenu parce qu’il existe, donc de sa naissance à sa mort, et cela indépendamment du fait qu’il travaille ou non ou qu’il ait d’autres revenus. Il faut tirer le bilan de l’échec des minima sociaux actuels qui sont très insuffisants et ne remédient pas à la pauvreté et à la précarité.La déconnexion de ce revenu par rapport à un travail et par rapport à d’autres éventuels revenus définit ainsi son inconditionnalité, au nom du droit à l’existence, premier élément de la justice sociale [Rawls, Van Parijs].Cette déconnexion du revenu d’existence par rapport au travail est d’autant plus légitime qu’il faut cesser de voir dans le travail une « valeur » en soi (voir encadré 1). Le capitalisme a engendré une société où chacun doit s’aliéner dans un travail dont il ne maîtrise ni les finalités ni les conditions. Le revenu d’existence permettrait alors de refuser des conditions de travail et de salaires trop mauvaises ou trop contraignantes.En somme, ces premiers arguments reprennent l’analyse que faisait la philosophe Hannah Arendt, pour qui jamais dans l’histoire le travail n’a été un facteur d’épanouissement des individus [1]. Elle était en totale opposition avec Friedrich Hegel qui pensait, lui, que le travail était l’essence de l’homme par lequel il se réalisait.La conclusion des théoriciens de gauche du revenu d’existence est donc qu’on ne peut se fixer pour objectif de libérer le travail, mais au contraire de se libérer du travail qui n’est que synonyme d’exploitation et d’aliénation. Le revenu d’existence permettrait de s’affranchir de l’obligation d’un travail dégradant et d’acquérir plus de liberté, plus d’autonomie. La véritable émancipation étant celle par rapport au travail.Ils n’ont pas de mal à récuser la critique avancée par les adversaires de droite qui s’insurgent contre le revenu d’existence à cause d’une supposée prime donnée à la paresse. Au contraire, répondent les partisans de ce revenu, il permettra à chacun de choisir son travail sans avoir le couteau sous la gorge.

Contre-arguments
Les critiques d’ordre philosophique et éthique apportées par les opposants au revenu d’existence ne remettent pas en cause l’idée que tout individu doit pouvoir vivre dignement sur le plan matériel et culturel.En revanche, ils contestent la vision du travail qui est au fondement du revenu universel. Certes, le travail, particulièrement dans la société capitaliste, est subordonné, exploité et aliéné. Mais il n’est pas que cela. Il est aussi un facteur d’intégration dans la société, un facteur de reconnaissance sociale, et même le moment où des solidarités se forgent dans la lutte. Il est créateur de lien social parce qu’il s’exerce toujours dans un cadre collectif, ou, même s’il s’effectue isolément (comme dans le cas du travail indépendant), parce que son résultat (le bien ou le service produit) met l’individu en contact avec les autres, du fait de la division du travail.Aussi, il faut considérer que le travail est ambivalent. Ce n’est ni la vision univoque de Hegel, ni celle en miroir d’Arendt, c’est plutôt celle de Marx : le travail est aliénant mais c’est par lui que l’être humain se construit. Le travail n’est pas seulement un rapport de l’homme avec la nature qu’il transforme. Par son travail, il se transforme lui-même. Il s’ensuit qu’abandonner l’objectif de l’émancipation dans et hors du travail serait une erreur. On retrouvera plus loin ce point à propos du plein emploi.Cela permet de revenir sur la notion de vie décente : la vie décente n’est pas seulement une affaire de revenu mais d’intégration dans toutes les sphères de la société. S’il s’avérait que certains individus étaient définitivement exclus de la sphère du travail et qu’ils recevaient un revenu universel, la stigmatisation ne viendrait plus du fait qu’ils ne perçoivent aucun revenu mais du fait qu’ils ne perçoivent que celui-là. La justice sociale ne serait pas mieux garantie.Enfin, la croyance que le revenu universel apporterait la liberté à chacun postule que l’émancipation humaine résulterait d’un retrait individuel d’un aspect essentiel de la vie collective. Cela revient à nier que le travail est un acte social par excellence.Ce n’est pas un hasard si certains libéraux approuvent le revenu universel car ils y voient le moyen d’atomiser la société en individus isolés et d’en finir avec les solidarités collectives.

2) Sur le plan politique

Arguments en faveur de la mise en place d’un revenu d’existence universel
Le premier avantage politique de l’inconditionnalité du revenu universel est de mettre fin au contrôle administratif, souvent humiliant, des allocataires des minima sociaux, en même temps qu’il résout le problème du non-recours qui atteint en France plus du tiers des personnes ayant droit à ces minima. Complexité des démarches et stigmatisation entretiennent une mise à l’écart de beaucoup de personnes, une situation intolérable dans une démocratie. Le principe d’inconditionnalité vise à supprimer totalement ces inconvénients ou au moins à les limiter dans le cadre d’une inconditionnalité faible (défendue par Alain Caillé de la Revue du MAUSS).Dans la période de chômage très élevé et de précarité croissante des contrats de travail, le fait de disposer d’un revenu de base permettrait d’améliorer le rapport de force entre le demandeur d’emploi ou le salarié face à son employeur. Cette idée est liée à celle examinée ci-dessus : l’autonomie renforce la capacité de négociation lors d’une embauche ou lors d’une demande d’amélioration du salaire ou des conditions de travail.Le principe de l’universalité du revenu d’existence implique qu’il soit versé au plus riche comme au plus pauvre. Un principe analogue à celui de la Sécurité sociale qui prend en charge la maladie sans regarder si le malade est riche ou pauvre.À ceux qui s’élèvent contre cette « égalité » de traitement, les théoriciens de ce revenu rétorquent que la fiscalité permettrait de reprendre aux riches bien plus que ce qui leur a été accordé sous forme de revenu de base. En ce sens, beaucoup rejoignent l’idée de l’impôt négatif avancé dans les années 1970 par l’économiste américain Milton Friedman et qui est reprise aujourd’hui en France notamment par Marc de Basquiat et Gaspard Koenig, parce que, disent-ils, c’est l’individu, et non pas l’État, qui est le plus à même de savoir quels sont les meilleurs choix pour lui.Le mécanisme de l’impôt négatif est de faire la différence entre tous les revenus perçus par un individu et l’impôt. Cette différence sera négative pour les pauvres et positive pour les riches.Dans les projets de gauche du revenu universel figure aussi très souvent la proposition de fixer un revenu maximum.

Contre-arguments
La non-automaticité des minima sociaux qui explique l’ampleur du non-recours par ceux et celles qui y ont pourtant droit et l’insuffisance de leurs montants rendent indispensable une profonde réforme.Cependant, si la plupart des restrictions demandent à être levées, faut-il pour autant fixer un principe d’inconditionnalité qui signifie une absence totale de contrepartie vis-à-vis de la société ? Bien que partisan d’un minimum de ressources attribué à chacun, Rawls avait ainsi posé le problème du « surfeur à Malibu » qui passerait sa vie sur la crête des vagues et qui ferait valoir son droit au revenu d’existence.Est-il raisonnable de penser qu’un individu, isolé face à son patron capitaliste, aurait les moyens de lui imposer un contrat de travail meilleur parce qu’il dispose d’un revenu de base versé par la collectivité ? C’est sans doute une illusion, rappelant l’idéologie économique libérale qui prétend que le chômage résulte d’un choix du travailleur ayant comparé le salaire qu’on lui propose avec les « agréments du non-travail ». La logique individualiste est sous-jacente à cette croyance. Au contraire, il est à craindre que beaucoup d’employeurs en profitent pour diminuer les salaires ou contourner le Smic.Enfin, si le revenu universel reçu par les riches est récupéré par la fiscalité et si, finalement, on ne leur donne rien de plus que ce qu’ils ont déjà, à quoi sert-il puisqu’il n’a pas d’effet redistributif notable, dans la mesure où les gros revenus et patrimoines échappent largement à l’impôt ? En effet, si ces derniers étaient imposés pour financer le revenu universel, ce serait sur une assiette bien plus étroite que leurs revenus réels. L’argument de la prétendue neutralité nécessaire de la fiscalité au regard de la répartition des revenus primaires est typiquement néolibéral.Dès lors, le risque d’abandonner les questions du travail à valoriser et de l’emploi pour tous et toutes, ainsi que le risque de verser un revenu de base pour solde de tout compte deviendraient flagrants.La fixation d’un revenu maximum est également présente dans certains programmes politiques de gauche, indépendamment de la question du revenu universel, puisqu’elle s’inscrit dans la perspective de réduire les inégalités de revenus dès l’entreprise, avant même d’agir par la fiscalité.

3) Sur le plan économique

Arguments en faveur de la mise en place d’un revenu d’existence universel
Les justifications économiques du revenu d’existence sont très nombreuses. Elles ne se recoupent pas forcément et les penseurs et associations qui s’en réclament privilégient plutôt l’une ou l’autre.La justification la plus ancienne est peut-être celle qui voit dans le revenu d’existence universel le moyen de répartir les richesses qui sont le fruit des savoirs, des savoir-faire et des techniques accumulés par les générations précédentes et dont bénéficient les générations actuelles. En quelque sorte, il convient de répartir cette rente, de la même façon qu’il n’y a pas de raison que tous les êtres humains ne puissent pas jouir des bienfaits de la nature. Cette idée rejoint les thématiques anciennes de More et Paine et est reprise par les théoriciens modernes comme Philippe Van Parijs ou Herbert Simon, ce dernier évaluant la part de richesse redevable au travail présent : « Je suis très généreux si je vous dis 10 %. 

Le reste s’explique par le travail du passé, les infrastructures, les inventions… C’est un cadeau ! Par exemple, si Edison n’avait pas domestiqué l’électricité, votre revenu serait moindre. L’idée du revenu universel, c’est de partager plus équitablement ce cadeau. »Depuis qu’une troisième révolution industrielle autour de l’informatique et de la robotique est en marche, beaucoup d’économistes prévoient ou craignent que le travail se raréfie, voire qu’il disparaisse. Au départ cantonnée à certains futuristes isolés [2], cette thèse s’est renforcée depuis l’éclatement de la crise économique mondiale de 2007-2008. La plupart des partisans du revenu universel s’inscrivent dans cette problématique et en concluent que puisque les gains de productivité condamnent au remplacement de l’homme par la machine, il est vain de rechercher le plein emploi, désormais inatteignable.Dans leur esprit, il ne s’agit pas d’un renoncement parce qu’il existe de nombreux gisements de travail en dehors de l’emploi. Il convient donc d’affirmer : « L’emploi est mort, vive le travail ! » [Stiegler].Cette affirmation s’appuie sur l’idée que tout le monde est productif et que le revenu d’existence doit être versé « au titre de la participation de tous à la création de richesse sociale » [Mylondo]. En un mot, le lien social constitué lors des activités libres menées en dehors de l’emploi génère de la richesse. C’est ainsi que si les activités bénévoles et gratuites s’arrêtaient, l’économie proprement dite s’effondrerait. Une dernière théorie va encore plus loin : c’est celle dite du cognitivisme, venue d’une des branches actuelles du marxisme [Monnier, Vercellone, Moulier Boutang]. Au fur et à mesure que les connaissances deviennent un facteur de production décisif, la création de valeur économique échappe au travail proprement dit, en tout cas déborde celui-ci pour envahir progressivement la totalité du temps de vie, dont cherche à s’emparer le capitalisme. Il faut donc rémunérer par un revenu universel tous les auteurs d’externalités positives nées de leurs multiples activités hors du travail : par analogie, il s’agit du même phénomène que la pollinisation réalisée par les insectes, sans laquelle la végétation ne se reproduirait pas. Ainsi, il faut considérer que le revenu universel serait un revenu de type primaire,Très souvent, les partisans du revenu d’existence inscrivent leur démarche dans une perspective écologique de décroissance de l’économie qui deviendrait possible dès lors que le revenu d’existence permettrait de garantir un « droit au temps partiel choisi » [3]. Il s’agit donc d’un plaidoyer pour une sortie individuelle de l’emploi, plutôt qu’une réduction collective du temps de travail, dont le mérite serait d’abandonner la course au productivisme et au consumérisme.

Contre-arguments
Les justifications économiques du revenu d’existence sont effectivement nombreuses, mais toutes font l’objet de critiques.En premier lieu, l’idée qu’on pourrait pérenniser le versement d’un revenu universel sur la base d’une rente provenant d’un héritage de l’humanité est une vue de l’esprit parce que tous les revenus sont des flux engendrés par l’activité économique courante et non un prélèvement sur un stock de richesse passée. Verser une rente au titre de l’héritage du théorème de Pythagore dont nous bénéficions n’aurait aucun sens. Si les multinationales veulent tout breveter, c’est justement pour créer de toutes pièces des rentes de situation.Ensuite, les études prospectives sur l’avenir du travail à l’horizon de quelques décennies sont contradictoires et donc peu fiables [4]. Personne aujourd’hui ne peut prédire avec certitude quels seront les métiers de demain, surtout si les besoins en termes de services continuent de croître rapidement. C’est donc la transformation du contenu du travail plus que la raréfaction de celui-ci qui est probable.Mais, si le travail se raréfiait véritablement, un mystère apparaîtrait que ne dissipent pas les partisans du revenu d’existence : comment pourrait-on collectivement distribuer davantage de revenus puisque tous les revenus sont engendrés par le travail (voir encadré 1) ?D’autre part, il est faux de prétendre que le chômage est dû principalement à l’augmentation de la productivité du travail. Jamais cette augmentation n’a été aussi faible depuis la Seconde Guerre mondiale, en dépit de la révolution informatique et robotique. Cette tendance touche maintenant même les pays émergents. Le chômage est dû essentiellement à l’accaparement par les détenteurs du capital d’une part plus grande de la valeur ajoutée, qui empêche de dynamiser les investissements, les activités utiles et l’emploi.En filigrane des interrogations sur le travail se trouve une question complexe pour savoir ce qu’est un travail productif. Contrairement à ce qu’affirment beaucoup de partisans du revenu d’existence, épousant ainsi à leur insu les dogmes de l’économie dominante, toute production de valeur d’usage n’est pas automatiquement une production de valeur économique mesurée monétairement. Le lien social est une grande « valeur » sur le plan philosophique mais ne crée pas de valeur ajoutée que l’on peut distribuer monétairement. Pour engendrer de la valeur monétaire, le travail effectué doit être socialement validé, soit par le marché, soit par une décision politique, par exemple d’apprendre à lire et écrire aux enfants dans les écoles (voir encadré 1).Et s’il est vrai que les connaissances sont devenues un facteur essentiel de la production, ce sont toujours les travailleurs qui « portent » ces connaissances.À la question « Utiliser son temps libre à s’occuper de ses parents âgés ou de ses enfants, s’engager dans des associations, contribuer au savoir à travers l’enrichissement des articles de Wikipédia, faire de la musique ou du théâtre, coudre, bricoler, lire, bavarder avec ses voisins, faire du sport, cultiver son potager, regarder la télé ou s’informer sur Internet, est-ce ou n’est-ce pas du travail ? [5] », la réponse est catégoriquement non. De la même façon, le jeu pratiqué sur son smartphone ou la partie de cartes jouée avec ses amis ne sont pas des sources de valeur économique, quand bien même du lien social serait créé [6].Il s’ensuit qu’il n’y a pas de trésor caché, il n’y a pas de travail productif au-delà de l’emploi. L’emploi dans ses deux composantes, salarié et indépendant, est le cadre institutionnel dans lequel le travail est réalisé (voir schéma en annexe). Aussi, un revenu d’existence, s’il était créé serait un revenu de transfert et non un revenu primaire, qu’il faudrait donc financer par un prélèvement sur le travail productif.La perspective écologique est mieux prise en compte par une réduction collective du temps de travail que par une sortie individuelle de l’emploi.|

Encadré 1 : La « valeur » travail et la « valeur-travail »

On ne dispose que d’un mot (valeur) pour désigner deux réalités différentes.

Sur un premier plan, lorsqu’il est question de la « valeur » travail, on se réfère au contenu éthique, philosophique ou politique qui est attaché au travail ou au contraire qui lui est dénié. Ainsi, la conception venant de Hegel (cf. ci-dessus) fait du travail une valeur en soi puisqu’il se rapporte à l’essence humaine. Au contraire, dans la tradition issue d’Arendt souvent reprise au sein des thèses favorables au revenu d’existence, cette valeur associée au travail est niée, ou bien « elle est en voie de disparition ». Les enquêtes sociologiques aujourd’hui disponibles démentent cette idée, en montrant que dans une très grande majorité, les individus désirent s’insérer dans le monde du travail [7].

Le terme valeur est également utilisé dans le domaine économique et il est notamment associé au travail. Et c’est là que les choses se compliquent. L’économie politique, née véritablement à la fin du XVIIIe siècle sous la plume de Smith et de Ricardo, a élaboré la théorie dite de la valeur-travail qui fait du travail le fondement de la valeur d’échange des marchandises, la valeur d’usage n’étant que la motivation de leur production. Marx reprendra cette idée que seul le travail produit de la valeur mais il modifiera sa formulation pour expliquer deux phénomènes. 1) La valeur d’une marchandise exprime la fraction du travail collectif qui est socialement validée en elle. 2) Le capitaliste n’achète pas le travail du salarié, ni son produit, mais sa force dont il va tirer une plus-value pour accumuler du capital.

La polysémie du terme valeur se double alors d’une difficulté supplémentaire : parler de « valeur du travail » prête à confusion car, sans autre précision, on ne saurait pas s’il s’agit de la « valeur » travail au sens philosophique, ou de la valeur reçue par le travailleur sous forme de salaire, ou enfin de la valeur produite par le travailleur, bien supérieure à son salaire, la différence correspondant au profit capitaliste.

Encadré 2 : Des expériences de revenu universel dans le monde ?

Des propositions ou des débuts d’expérimentation de revenu universel sont mis en avant par ses défenseurs pour illustrer sa faisabilité. En réalité, il ne s’agit nulle part d’un véritable RU, sans condition de ressources, universel, d’un montant suffisant pour vivre de façon décente. En effet, la mise en place d’un tel revenu est tellement complexe que, dans tous les cas qui existent, il s’agit pour le moment, soit d’une étape, soit d’une seule catégorie de personnes bénéficiaires, et dans tous les cas d’un montant insuffisant. Comme les populations bénéficiaires de ces tentatives sont le plus souvent ciblées, il s’agit d’une plutôt d’une forme habituelle d’allocation d’assistance que d’un revenu de type universel. Il y a une raison pratique à cela : financer un revenu universel mettrait en jeu la fiscalité sur les revenus qui présentent le plus souvent un caractère national. Enfin, il n’est pas sûr qu’on puisse vérifier que le retour à l’emploi est différent de celui constaté avec les minima sociaux existants. Ces débuts d’expérimentation sont donc peu concluants, et sont même bien éloignés des objectifs fixés par leurs défenseurs, du moins ceux de gauche qui y croient vraiment.

Le projet finlandais a été mis en œuvre le 1er janvier 2017. Il est financé par la Sécurité sociale. Il remplacera toutes les allocations en versant un montant fixe par mois à un groupe expérimental de personnes : 2000 demandeurs d’emploi de 25 à 58 ans choisis au hasard percevront 560 euros par mois pendant deux ans. La couverture santé et l’allocation logement seront maintenues. À l’issue de ces deux années, le gouvernement envisagera de le généraliser à toute la population. L’objectif est de remplacer l’ensemble des allocations versées par l’État.

En France, une mission d’information a été lancée au Sénat le 31 mai 2016 [8] pour étudier la question. Localement, une étude de faisabilité a été missionnée par la Nouvelle région Aquitaine et le Conseil départemental de la Gironde a installé sur son site un simulateur de financement. Les associations de chômeurs qui ont été auditionnées ont fait part de la misère dans laquelle vit une partie de la population pour demander que soit mis en place dans le département un revenu de base à la condition qu’il ne soit pas inconditionnel et qu’il ne remette pas en cause notre système de protection sociale. Seront-elles entendues alors que cette initiative de simulation a été préparée par la Fondation Jean-Jaurès ?

En Suisse, les citoyens ont massivement rejeté lors d’une votation en juin 2016 la proposition de création d’un revenu de base universel et inconditionnel qui envisageait de donner à chacun, actif ou inactif, de tout âge, un revenu versé par l’État.

Aux Pays-Bas, un projet de revenu de base est mis en œuvre dans plusieurs villes, dont Utrecht [9]. Dans celle-ci, 250 citoyens, chômeurs ou bénéficiaires des minima sociaux, sont répartis en six groupes-tests, afin de vérifier si le dispositif encourage l’« assistanat » ou non. Parmi eux, 50 percevront 960 euros par mois pour un adulte seul (ou 1300 par foyer), qu’ils soient en emploi ou non, tandis que les membres des autres groupes devront respecter des règles différenciées en matière de recherche d’emploi.

En Namibie, une expérimentation a été menée en 2008 et 2009 auprès de 1000 personnes. Si on a pu constater une plus grande scolarisation, une sécurité alimentaire et la création de micro-entreprises, cette expérience est confinée à un petit groupe.

En Inde, des expériences sont menées depuis 2011dans des villages ruraux dans le but d’améliorer les conditions de vie en matière d’alimentation, de santé et d’éducation.

Au Canada, après une première expérience appelée « Mincome » dans les villes de Winnipeg et Dauphin de 1974 à 1979, la province de l’Ontario a annoncé, fin février 2016, lors du vote de son budget annuel, qu’elle allait entamer un programme de recherche en lien avec les communautés pour déterminer les meilleures modalités d’un revenu de base.

L’Alaska a mis en place « l’Alaska Permanent Fund », une forme particulière de revenu de base très modeste qui est financée par les revenus miniers et pétroliers de l’État. Il s’agit donc d’un revenu financé par une rente qui ne peut être durable.

Notes

[1Elle se référait à la Grèce antique où le travail était destiné aux esclaves, et en particulier à Aristote qui distinguait la poïesis, se rapportant à la production et à la technique dont la fin est extérieure à l’individu acteur, et la praxis, désignant la pratique liée à l’accomplissement de l’homme et à la transformation des rapports sociaux, immanente à l’individu acteur.

[2J. Rifkin, La fin du travail, La Découverte, 1997.

[3Les deux citations sont de B. Mylondo, « Contre le temps partiel subi, osons le temps libéré ! », Alternatives économiques, n° 333, 1er mars 2014. Voir aussi S. Michalon, B. Mylondo, L. Robin, Non au temps plein subi ! Plaidoyer pour un droit au temps libéré, Éd. du croquant, 2013.

[4Conseil d’orientation pour l’emploi, « Automatisation, numérisation et emploi », janvier 2017.

[5O. Le Naire et C. Lebon, Le revenu de base, Une idée qui pourrait changer nos vies, Arles, Actes Sud, 2017, p. 57

[6C’est pourtant ce que prétend B. Mylondo, « Qui n’a droit à rien ? En défense de l’inconditionnalité, réponses à Attac », 2015, http://alternatives-economiques.fr/blogs/mylondo/files/qui-na-droit-a-rien-reponse-aux-objections-dattac.pdf ; et « Entretien », L’Âge de faire, n° 110, été 2016.

[7Voir D. Méda, P. Vendramin, Réinventer le travail, PUF, 2013. Ces enquêtes sont d’autant plus intéressantes qu’elles sont menées entre autres par D. Méda qui avait publié près de vingt ans auparavant Le travail, une valeur en voie de disparition, Éd. Aubier, 1995.

[9Voir Loek Groot, « Utrecht : l’expérimentation d’un revenu de base local », Metis, 9 juillet 2016.

J’agis avec Attac !

Je m’informe

Je passe à l’Attac !

En remplissant ce formulaire vous pourrez être inscrit à notre liste de diffusion. Vous pourrez à tout moment vous désabonner en cliquant sur le lien de désinscription présent en fin des courriels envoyés. Ces données ne seront pas redonnées à des tiers. En cas de question ou de demande, vous pouvez nous contacter : attacfr@attac.org