Les contre-vérités économiques de la loi Darmanin

lundi 11 décembre 2023, par Attac France

Si le discours sur le « coût » de l’immigration est hélas très répandu, il n’en demeure pas moins le plus souvent non seulement faux, mais également dangereux puisqu’il valide les thèmes anti-immigré·es de l’extrême droite.

Alors que le gouvernement s’apprête à faire adopter son projet de loi sur l’immigration, il est donc plus qu’utile de procéder à quelques rappels étayés pour tordre le coup aux idées fausses, nauséabondes et dangereuses pour la démocratie et le « vivre ensemble ».

Après de longs mois de tergiversations, la loi Asile et Immigration, dite loi Darmanin a entamé son passage au Sénat puis en commissions de l’Assemblée Nationale, avant d’être présentée devant l’ensemble des député·es à partir du 11 décembre, pour une adoption que le gouvernement souhaite la plus rapide possible.

Depuis longtemps, Gérald Darmanin a annoncé la couleur : faire de cette nouvelle loi immigration (la 29e depuis 1981) la loi « la plus ferme avec les moyens les plus durs de ces trente dernières années  ». En cela, il est largement aidé par les sénateurs Les Républicains dont les amendements adoptés n’ont rien à envier à ceux de l’extrême-droite. Dans cette surenchère raciste et sécuritaire, les député·es vont probablement revenir en arrière sur quelques-unes des décisions du Sénat, le gouvernement pourra se présenter comme le juste milieu entre le centre-droit et l’extrême droite.

Mais même si l’aide médicale d’état n’est finalement pas supprimée, le cœur de la loi reste entier : fin du renouvellement automatique de certains titres de séjour, possibilité de supprimer le titre de séjour, voire d’expulser toute personne étrangère sur simple décision administrative, à la discrétion des préfets, restriction des droits des étranger·es, maintien dans la précarité de milliers de personnes migrantes, allongement de la durée de séjour pour le droit au regroupement familial, nouvelles contraintes pour les étudiant·es étranger·es, limitation de l’accès aux allocations familiales et à l’aide au logement, restriction des conditions d’accès à la nationalité française, facilitation des obligations de quitter le territoire Français (OQTF) et des interdictions de revenir sur le territoire (IRTF)… 

La liste est longue, trop longue. Quant à l’article 3 qui prévoyait un titre de séjour de plein droit dans les métiers en tension, il a été pour le moment supprimé. Sa logique était de rendre la personne salarié·e captive de son employeur et d’autoriser quelques régularisations au compte-goutte, mais il a été supprimé parce que même si peu, pour les sénateurs de droite, c’est déjà trop.

Une multitude de contrevérités sur l’immigration et son « coût »

De nombreuses analyses sur cette loi ont été produites, par le Gisti ou la Cimade notamment. Elles montrent que ce projet est à l’unisson des discours de nombreux responsables politiques selon lesquels les immigré·es seraient responsables de tous les maux.

Selon les arguments et théories racistes, comme celle du « grand remplacement », les immigré·es menaceraient les ressortissant·es français·es et mettraient en péril l’avenir de la France. Une déclinaison « économique » de ce discours concerne le « coût » prétendu de l’immigration. Cette dimension a été particulièrement évoquée en faveur de la suppression de l’aide médicale d’État (AME).

Les nouveaux·elles venu·es sur le territoire français profiteraient d’un « modèle social » trop généreux, en étant notamment les grand·es bénéficiaires des prestations sociales. Par sa grande générosité, notre « modèle social » créerait un appel d’air. L’économie française serait menacée, un argument supplémentaire pour durcir toujours plus la législation afin de réduire l’immigration. C’est ce que s’emploie méthodiquement à faire le gouvernement et son ministre de l’intérieur avec la loi immigration.

Si le discours sur le « coût » de l’immigration est hélas très répandu, il n’en demeure pas moins le plus souvent non seulement faux, mais également dangereux puisqu’il valide les thèmes anti-immigré·es de l’extrême droite. Alors que le gouvernement s’apprête à faire adopter son projet de loi sur l’immigration, il est donc plus qu’utile de procéder à quelques rappels étayés pour tordre le coup aux idées fausses, nauséabondes et dangereuses pour la démocratie et le « vivre ensemble ».

1/ Les immigré·es ne « plombent » pas les finances publiques

L’immigration a un impact tendanciellement mesuré comme étant quasi nul, voire positif, sur les finances publiques [1]. Un constat partagé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) selon laquelle : « Dans les 25 pays de l’OCDE, en moyenne au cours de la période 2006-18, la contribution des immigrés sous la forme d’impôts et de cotisations a été supérieure aux dépenses publiques consacrées à leur protection sociale, leur santé et leur éducation [2] ». L’OCDE évalue même la contribution des immigré·es en France à 1,02 % du PIB et la contribution moyenne des pays étudiés à 1,56 % du PIB.

L’OCDE a d’ailleurs analysé en détail les différents postes des dépenses publiques consacrées aux immigré·es. Elles sont plus faibles que pour le reste de la population en matière de retraites, de pensions de réversion, de maladie, d’éducation et de santé notamment. Elles sont plus fortes en matière de famille, de chômage, d’exclusion et le logement. Ce qui atteste, au passage, que les immigré·es sont en moyenne sensiblement plus pauvres que le reste de la population.

2/ Le « modèle social trop généreux » n’attire pas plus d’immigré·es que d’autres pays

Alors qu’en 2018, les dépenses de protection sociale représentaient 31 % du PIB en France (un niveau globalement constant depuis plusieurs années), soit très légèrement plus que le Danemark (30,8%) et la Finlande (30,1%), il représentait sensiblement moins (entre 27 % et 30%) en Allemagne, en Italie ou encore en Suède et très nettement moins (entre 23 % et 27%) au Royaume-Uni ou en Espagne. Si l’on regarde outre-atlantique, cette part n’était en 2018 que de 18 % au Canada et de 19 % aux États-Unis. Si l’on s’en tient au discours des anti-immigration, les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et le Canada ne devrait pas attirer beaucoup d’immigré·es. Or, c’est le contraire qui se passe…

Les données parlent d’elles-mêmes [3] : contrairement à ce que l’on entend régulièrement, le regroupement familial ne représente pas la majorité de l’immigration. Les titres de séjour délivrés en 2022 concernent en premier lieu les étudiants (101.250 titres de séjour), puis le regroupement familial (95.507 titres de séjour) avant les travailleuses et travailleurs (51.673), l’accueil humanitaire (40.549 titres) et les autres motifs (27.195 titres). Autrement dit, 70 % des titres de séjour sont délivrés pour d’autres motifs que le regroupement familial (qui, rappelons-le, est parfaitement légitime).

3/ Les immigré·es et leurs descendant·es ne font pas toujours valoir leurs droits

Selon l’INSEE, 31,5 % des immigré·es ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté (les personnes percevant moins de 60 % du revenu médian). Ce taux de pauvreté monétaire est près de trois fois plus élevé que celui des personnes sans ascendance migratoire (11,1 %) [4]. Trop souvent victimes de discriminations et de dispositifs aux effets pervers démontrés (les trappes à pauvreté découlant, par exemple, des allègements de cotisations sociales) et du travail non déclaré, elles et ils sont également nombreux·ses à ne pas faire valoir leurs droits. Loin d’être des profiteur·euses du modèle social, « les étrangers sont en réalité doublement exposés au non-recours [5] ».

En matière d’aide médicale d’État (AME), qui représente moins de 0,5 % du budget de l’assurance maladie, une étude de Médecins du monde montre que 87 % des personnes étrangères passées dans les centres de soins de l’association ne sont pas bénéficiaires de l’aide médicale d’État alors qu’elles pourraient en bénéficier [6]. Globalement, le taux de non recours à l’AME est estimé à 49 %. Les raisons de ce non recours sont là aussi la méconnaissance du dispositif et la complexité administrative. Par ailleurs, nombreuses sont les personnes qui retournent dans leur pays sans bénéficier de leurs prestations sociales : entre 20 % et 50 % des immigré·es repartiraient au cours des cinq années suivant leur arrivée [7].

4/ Les immigré·es ont des métiers plus difficiles et plus précaires

Les immigré·es sont surreprésenté·es dans des métiers dont les conditions de travail sont difficiles et/ou des métiers en tension. Ces personnes sont plus fréquemment recrutées sur des contrats à durée limitée et/ou à temps partiel. La réglementation leur ferme de nombreuses portes : il en va ainsi de l’accès aux emplois de la fonction publique qui ne leur est possible que par voie contractuelle, les emplois statutaires recrutés par voie de concours leur restant fermés.

Par ailleurs, les travaux montrent, que loin des idées fausses, l’immigration n’a pas d’impact négatif sur l’emploi et les salaires. Mieux, l’effet serait même positif [8]. En France, l’arrivée d’immigré·es extracommunautaires a augmenté l’offre de travail potentielle sans pour autant augmenter le taux de chômage et sans réduire le taux d’emploi. Quant aux personnes arrivées grâce au regroupement familial, elles occupent des emplois complémentaires à ceux occupés par le reste de la population et contribuent même à réduire le taux de chômage moyen en France.

5/ La France n’a pas pris sa part

La France est aujourd’hui l’un des pays d’Europe où l’immigration est proportionnellement la plus faible. Les ressortissant·es de pays étrangers ne représentent en 2021 que 7,7 % de la population en France contre 12,7% en Allemagne et 8,7% en Italie tandis que les personnes nées à l’étranger représentent 12,8% de la population en France contre 18,2% en Allemagne et 10,6% en Italie. La France n’est pas submergée par des vagues migratoires. Pour François Heran, titulaire de la chaire « Migrations et sociétés » du Collège de France, « Regardons combien de Syriens, d’Irakiens, d’Afghans, d’Ukrainiens ont pu déposer une demande d’asile dans l’Union européenne, et regardons la part que la France a prise à l’échelle euro­péenne. Nous représentons à peu près 17 % de la richesse européenne et 15 % de la population européenne ; or, à proportion de nos richesses et de notre population, nous n’avons enregistré que 4 % du nombre total d’exilés ! [9] ».

Plus largement, la France comptait en 2020, selon les Nations Unies, 8,1 millions de migrant·e·s internationaux·ales sur son territoire, soit 12,4% de sa population totale. Cela fait du pays le 7e pays d’accueil de migrant·es dans le monde (le 4e en Europe derrière l’Allemagne, la Russie et le Royaume-Uni). Il reste moins élevé que dans d’autres pays à haut niveau de développement : 13,1% aux États-Unis et au Royaume-Uni, 14,2% en Espagne, 17% en Allemagne, plus de 20% au Canada et presque 30% en Australie [10]. Le nombre de primo-entrant·es sur le territoire français a beaucoup diminué depuis le milieu des années 1970 : selon l’OCDE, le « flux d’immigration à caractère permanent [11] » en 2019 par rapport à la population totale de la France était de 0,4 %, soit plus faible que la moyenne de l’UE (0,8%), la Suède (plus d’1 %) ou de la Suisse (1,4%) [12]. En clair, la France accueille durablement moins de personnes que d’autres pays à niveau de développement comparable.

6. Un discours anti-immigré·es qui bafoue les droits fondamentaux et humains

Le discours sur le « coût » de l’immigration s’inscrit dans une logique de stigmatisation des immigré·es. Celle-ci rejette des principes fondamentaux qui figurent par exemple dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dans le Préambule de la Constitution de 1946, dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH) de 1950, dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 ou encore dans la Déclaration Universelle des droits de l’Homme de 1948. Rien que cela…

Cette logique anti-immigré·es nourrit par ailleurs le racisme et la xénophobie, en entretenant l’idée fausse qu’au fond, la France a toujours été blanche et chrétienne. Outre qu’il nie la réalité de l’histoire de France et de nombreux pays, ce discours oublie sciemment les apports sociaux, culturels ou politiques des mouvements permanents et historiques de population. Il omet soigneusement de revenir sur les dégâts du colonialisme et, plus largement, sur l’exploitation des pays pauvres par les pays les plus riches. Il se trompe lourdement sur la question du fameux « coût » de l’immigration.

Mobilis.ées contre la loi Darmanin

Depuis les premières annonces du ministre de l’Intérieur, Attac, au sein du collectif « Uni.es contre l’immigration jetable » se bat contre cette loi. Alors que les plus riches continuent à s’enrichir, que les multinationales font toujours plus de profits, l’égalité et la justice sociale nécessitent une politique d’accueil des migrant·es et des personnes étrangères présentes sur le sol français. C’est pour l’égalité des droits et contre le racisme que nous serons à nouveau mobilisé·es les 11 et 18 décembre.

Notes

[1Conseil d’analyse économique, « Immigration et finances publiques », Focus 72, novembre2021 et « Quel est l’impact économique de l’accueil des réfugiés ? » Focus 70, novembre 2020.

[2Rapport de l’OCDE intitulé « Perspectives des migrations internationales 2021 »

[3Ministère de l’intérieur et de l’outre-mer : Les chiffres de l’immigration en 2022, 13 juillet 2023.

[4INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés, édition 2023 », Insee , 30 mars 2023.

[5Alexis Spire, « Ces étrangers qui renoncent à leurs droits », revue Plein droit, 2015/3.

[6Rapport moral annuel de médecin du monde, 18 octobre 2023.

[7Dumont et Spielvogel, « Les migrations de retour, un nouveau regard », OCDE, perspectives des migrations internationales, édition 2008.

[8Anthony Edo, « The Impact of Immigration on the Labor Market », Journal of Economic Surveys, 33, 2019

[9Interview de François Héran, « Ne racontons pas que nous sommes submergés et que l’identité de la France est menacée », La Croix, édition du 15 mar 2023.

[10Organisation Internationale pour les Migrations, « État de la migration dans le monde 2022 », 2022.

[11Définition OCDE : nombre de personne entrant de façon régulée pour s’installer dans le pays de destination.

[12Ministère de l’intérieur, « La population étrangère en France et dans ls autres pays », 2020.

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