Article paru dans l’Humanité , le 21 Novembre 2012
Coprésident des Économistes atterrés, Jean-Marie Harribey relève un glissement dans les raisons des agences de notation pour dégrader la note de la France. Après les déficits publics, c’est au tour de la « compétitivité » !
Comment réagissez-vous à la dégradation de la note de la France par l’agence de notation Moody’s ?
Jean-Marie Harribey. Lorsque Standard & Poor’s avait, en début d’année, dégradé pour la première fois la note de la France, il s’agissait de sanctionner l’éventuelle difficulté de l’État à honorer sa dette et à trouver de nouveaux emprunts à taux d’intérêt pas trop élevés. Or, pendant les huit mois écoulés depuis, l’État a continué d’emprunter à des taux extrêmement bas, et même à des taux jamais aussi bas dans son histoire contemporaine. Ce qui est assez amusant, si je peux dire, c’est de constater que Moody’s ne justifie pas sa dégradation par cette difficulté sur les taux d’intérêt des emprunts, mais que l’agence de notation généralise à présent le raisonnement : ce n’est plus seulement l’État qui serait en difficulté, mais ce serait l’ensemble de l’économie souffrant d’une compétitivité insuffisante. Une compétitivité insuffisante qui serait due à un coût du travail trop élevé, à une flexibilité du marché du travail jamais assez grande, et tout ça empêchant de conquérir les marchés extérieurs… La boucle est bouclée : on justifie l’austérité par les difficultés des budgets publics, et maintenant, on élargit à la situation économique française prise dans son ensemble… Il y a une progression tout à fait intéressante à relever.
Pourquoi cette dégradation survient-elle maintenant ?
Jean-Marie Harribey. Je ne peux, bien sûr, énoncer aucun jugement sur les motivations de Moody’s… En revanche, on peut montrer que les pions de nos adversaires sont avancés avec beaucoup de méthode. Il y a trois semaines, on avait l’attaque des pigeons contre les projets fiscaux du gouvernement français qui étaient relativement modérés. On a eu ensuite une nouvelle offensive sur le coût du travail, avec la publication du rapport Gallois. Il s’agit d’aller toujours plus loin dans la dégradation des conditions d’emploi, des salaires, de la protection sociale, et dans la baisse des dépenses publiques.
Comment desserrer l’étau idéologique ?
Jean-Marie Harribey. Je pense que la bataille contre l’idée que la dette publique serait due à de trop nombreuses dépenses publiques doit être une des priorités des mouvements sociaux. C’est ce qui se passe dans toute l’Europe : les mouvements sociaux, quand ils relèvent la tête, commencent par refuser l’austérité. Mais il faut bien voir aussi que le refus de l’austérité ne peut pas se traduire, comme il y a quarante ans, par une relance très forte : en plus de la crise économique, nous sommes confrontés à une crise écologique qui empêche d’en concevoir la sortie par une relance appuyée de la croissance. De ce point de vue, le gouvernement français, qui avait promis de remettre à plat les questions énergétiques ou les grandes infrastructures, est en train de reculer, de manière aussi importante que sur le plan social et fiscal. Il n’y a qu’à voir son obstination sur la construction de cet aéroport à Notre-Dame-des-Landes.