Instauration des franchises médicales : la financiarisation de la santé se poursuit

mardi 10 juillet 2007, par Attac France

Le président de la République veut instaurer en France un système de franchise médicale. Ce projet s’inscrit dans la logique déjà à l’œuvre partout dans le monde : il vise à diminuer de façon toujours plus importante la part socialisée des dépenses de santé prises en charge par la collectivité. Au nom de la réduction des dépenses de santé, c’est en fait une augmentation des dépenses de santé privées qui s’opère dans le cadre du marché de la santé. La financiarisation et la privatisation de la santé s’accélèrent, au nom de la « responsabilisation » et de la prise en charge individuelle des risques. Ce projet prolonge les régressions concernant la prise en charge des malades ayant eu lieu ces dernières années : déremboursements de centaines médicaments à service médical rendu (SMR) dit insuffisant, mais toujours prescrits ; franchises et forfaits qui se sont multipliés, que ce soit le forfait hospitalier fixé à 16 euros, la franchise dite de l’euro sur les consultations ou celle de 18 euros sur les actes médicaux lourds. À cela se rajoutent les dépassements d’honoraires de plus en plus fréquents. Le programme du président de la République prévoit d’instaurer un nouveau système avec quatre franchises, dont la ministre de la Santé a confirmé qu’elles seraient présentées lors du projet de loi sur le financement de la sécurité sociale (PLFSS) à l’automne, et appliquées en 2008. On ne discerne nulle « rupture » dans ce processus, puisqu’il s’agit encore et toujours de faire payer les patients au nom de la « responsabilisation ». Mais la logique comptable est désormais plus clairement affichée, puisque c’est Bercy qui tient désormais les cordons de la bourse. En quoi consisteraient ces franchises ? Si rien n’est encore décidé, les premières déclarations de membres du gouvernement indiquent que les premiers euros annuels sur les examens biologiques, sur les médicaments, sur les visites médicales et même sur l’hospitalisation – car pour Nicolas Sarkozy, le forfait hospitalier n’est pas une franchise –, seraient à la charge des malades. Ces franchises ne seraient pas remboursables, y compris par les assurances complémentaires. Les premières réactions ont conduit cependant le gouvernement à préciser que cela ne concernerait pas les enfants, ni les assurés les plus modestes. L’objectif affiché est de stabiliser, puis de réduire les dépenses d’assurance maladie prises en charge par la collectivité, l’assuré n’étant remboursé qu’à partir d’une certaine somme de dépenses de santé. La franchise devrait par ailleurs varier en fonction de l’équilibre des comptes de la sécurité sociale, malmenés par la multiplication des exonérations de cotisations sociales. De même, en cas d’augmentation du chômage, les recettes diminueraient et il faudrait augmenter la franchise, pénalisant ainsi doublement les patients, victimes à la fois de difficultés sociales et de problèmes de santé. Pour les malades, ce serait donc toujours la double peine, qui se traduit déjà pour beaucoup par le renoncement à certains soins. Ces nouvelles franchises retarderont encore davantage l’accès aux soins pour les plus démunis, mais aussi pour nombre de salariés pour lesquels la santé deviendrait un luxe. Alors que les inégalités en matière de santé touchent tous les âges et notamment les enfants et que les inégalités géographiques en matière de présence médicale s’accentuent, un tel projet ne peut qu’aggraver considérablement les difficultés rencontrées par la grande masse de la population.

  Trois raisons de s’opposer aux franchises

Les promoteurs de la franchise prétendent donc utiliser cet outil comme moyen d’agir sur l’évolution des dépenses de santé. Cette idée est fausse pour au moins trois raisons. 1.- Les pays qui maîtrisent le mieux leurs dépenses de santé sont ceux qui les « socialisent » le plus. Plus la part des dépenses publiques dans les dépenses de santé est forte et plus la dépense totale est faible : en fait, quand la part des dépenses qui reste à la charge des ménages est forte, sous forme de ticket modérateur, de franchise, de forfait hospitalier est importante, les dépenses totales de santé sont importantes. Les procédures de ticket modérateur, de forfait hospitalier, de franchise, etc. ne visent pas en fait à maîtriser les dépenses de santé dans leur ensemble, mais à maîtriser les seules dépenses socialisées, et à laisser courir ce qui relève désormais de chacun. Il s’agit en fait d’une rupture avec le principe de solidarité de la sécurité sociale suivant lequel chacun cotise en fonction de ses revenus et est soigné en fonction de son état de santé.

Quand la santé est privée, il ne s’agit pas de dépenser moins, mais de dépenser plus Une enquête a été réalisée par un institut indépendant, le Commonwealth Fund, portant sur six pays, Australie, Canada, Allemagne, Nouvelle-Zélande, Angleterre, États-Unis. Elle met une nouvelle fois en évidence que les États-Unis sont le pays dont les dépenses de santé sont le plus élevées – 6102 dollars par habitant, soit deux fois plus que les cinq autres –, mais se classe à la dernière place pour l’état sanitaire de la population, l’accès aux soins, l’efficacité du système et l’équité. L’absence de couverture-santé universelle aux États-Unis explique notamment les difficultés d’accès aux soins : plus de la moitié des étatsuniens disent avoir renoncé à des traitements, des examens ou mêmes des visites pour des raisons financières, contre 13 % des anglais, alors que le système sanitaire de l’Angleterre est pourtant en très mauvais état.

2.- Les dépenses de santé sont très fortement concentrées sur un très petit nombre de patients. Sur une année, la moitié de la population est à l’origine de 5 % des dépenses sur une année, tandis que les 5 % des personnes qui « consomment » le plus effectuent la moitié des dépenses. Le Haut Conseil de l’assurance maladie avait d’ailleurs mis en évidence cet aspect en 2004. Si l’on élargit aux 10 % des personnes qui « consomment » le plus, elles effectuent plus des deux tiers de la consommation totale de soins. Quel enseignement en retirer par rapport au système de franchises ? Comme dans l’assurance automobile, la franchise sert à limiter la consommation des usagers « petits consommateurs » de soins. Elle ne peut en aucun cas agir sur celle des personnes gravement malades. Au final, elle s’attaque aux dépenses de santé, là où elles sont peu importantes en volume, mais pourtant déterminantes à terme (voir infra plus loin). La question des dépenses de santé, et de leur maîtrise relève essentiellement de l’organisation du système de santé et de l’organisation sociale : mode et niveau de rémunération des soignants, type de formation qu’ils reçoivent (formation indépendante, formation aux questions de précarité et d’accès au soins...), prix des médicaments, mise en place d’actions de prévention et d’éducation à la santé, actions sur les conditions de vie des personnes, santé au travail, qualité de l’environnement. « Responsabiliser le patient » a assez peu de sens quand les déterminants d’une pathologie lui échappent tout comme la manière de la traiter. D’ailleurs, la mise en place de forfaits ces dernières années n’a pas empêché l’accroissement des dépenses de soins. 3.- Le plus grave, c’est qu’en limitant l’accès aux soins primaires, chez le généraliste notamment, les franchises vont non seulement augmenter les dépenses, mais surtout renforcer les inégalités. Si les personnes hésitent, ou renoncent, du fait de la franchise, à avoir recours aux soins primaires, il y a un risque sérieux que la pathologie dont elles souffrent s’aggrave. Elles auront recours aux soins plus tard et ces soins seront plus onéreux, la pathologie s’étant aggravée, et pour un résultat sanitaire moins bon. On connaît déjà ce phénomène : les catégories socioprofessionnelles les plus modestes utilisent moins la médecine de ville – les dépenses de médecine ambulatoire des cadres sont supérieures de 16 % à celles des ouvriers –, et ce moindre recours à la médecine ambulatoire conduit à un recours plus important à la médecine hospitalière. Ainsi, les dépenses de médecine hospitalière des ouvriers sont supérieures de 13 % à celles des cadres. Le résultat final étant, avec des pathologies plus graves prises en charge plus tard, une dépense totale plus importante. Pour une consommation moyenne de 100, la consommation moyenne des cadres est de 91, celle des ouvriers non qualifiés de 118. En retardant l’accès aux soins, on ne fait aucune économie. Au contraire on augmente les dépenses, tout en dégradant encore les inégalités sociales face à la santé. En matière de dépenses de santé, la meilleure façon de maîtriser les dépenses c’est d’être solidaire.

  Une logique de privatisation

Dans le même temps, les désengagements de la sécurité sociale ouvrent un boulevard, le « marché » de la santé, en pleine expansion pour des raisons démographiques, économiques et sociales. Ce marché attise les convoitises des assurances privées, mais aussi des banques, qui rivalisent d’imagination pour capter les jeunes, riches et bien portants. Alors que les « bancassureurs » se ruent sur la couverture santé avec l’intention bien affichée de capter les « bons risques », les assurances diversifient leurs offres, proposant, pour l’une une couverture de luxe à 1 000 euros par mois, pour l’autre le remboursement des produits alimentaires au nom de la lutte contre le cholestérol ! Il s’agit pour tous ces groupes privés de segmenter les populations, et de proposer des garanties « low coast » susceptibles d’attirer les populations à faible risque, surtout les jeunes, peu consommateurs de soins. Dans ce contexte, les mutuelles ont le plus grand mal à maintenir les solidarités et s’engagent souvent dans une logique strictement marchande.

La mise en place de la franchise prétend s’appuyer sur l’exemple de l’Allemagne, où existe une « franchise ». Or l’instauration d’une franchise n’a pas empêché l’Allemagne d’être un pays plus dépensier que la France en matière de santé. Si l’objectif est de maîtriser les dépenses, s’appuyer sur cet exemple est une idée curieuse. De plus, en Allemagne, l’accès au médecin généraliste est gratuit (tiers payant intégral) et la franchise ne s’applique en aucun cas à ce niveau, contrairement au projet français. Les Allemands ont la capacité de plafonner l’impact de la franchise en fonction du revenu des plus modestes. En France, le système informatique des caisses d’assurance-maladie est dans l’incapacité totale de réaliser ce type de plafonnement. La « référence » à l’Allemagne est donc grandement fantasmatique.

En incitant les assurés à se couvrir en fonction de leurs besoins, on porte gravement atteinte au principe de la solidarité, de la mutualisation des risques et, au final, à l’assurance maladie obligatoire. Car même si ces pratiques ne concernent que la couverture complémentaire santé, elles introduisent l’idée de « bonus » et de « malus » dans la santé et prônent l’individualisation et la sélection des risques.

  Contre les franchises construire le front le plus large

Face à un projet qui accentuera encore la marchandisation de la santé, la mobilisation a déjà commencé. Une pétition en ligne, initiée pendant la campagne présidentielle par deux médecins, Christian Lehman et Martin Wincker, a déjà recueilli plus de 50 000 signatures. Un appel d’organisations a été lancé et a été signé par plus de quarante mouvements, syndicats, associations très diverses, dont Attac. Il faut maintenant amplifier encore cette mobilisation afin de créer les rapports de force nécessaires. Dès le mois de septembre, des initiatives unitaires doivent être prises dans tout le pays. Il s’agit de construire un mouvement national suffisamment ample pour empêcher le gouvernement d’adopter une telle mesure.

  Première étape de la mobilisation le 29 septembre

Un appel unitaire à la mobilisation a été lancé début juillet. Il se fixe comme premier objectif d’organiser le 29 septembre une journée de sensibilisation et de mobilisation dans toute la France. A Paris, une grande réunion publique « 4 heures contre les franchises et pour l’accès aux soins » sera organisé au gymnase Japy. Les signataires de l’appel prévoient déjà une suite. « Réussir la mobilisation du 29 septembre, c’est permettre ensuite, s’il n’y a pas abandon par le gouvernement de cette proposition injuste, d’engager, dans la deuxième quinzaine d’octobre, des manifestations décentralisées dans toute la France. » ---------------------

  QUEL « REDRESSEMENT » DE L’ASSURANCE-MALADIE ?

Le déficit de la sécurité sociale devrait atteindre 12 milliards d’euros en 2007. Il concerne l’assurance-maladie et la branche retraite. Concernant cette dernière, il s’agit essentiellement de l’effet de la seule mesure progressiste de la loi Fillon qui permet le départ en retraite anticipé des salariés ayant eu une carrière longue. Ce déficit est donc passager.

PRINCIPALES MESURES PRISES PAR LE GOUVERNEMENT
-  baisse de 10 points du taux de remboursement des consultations hors parcours de soins ; ce taux tombera à 50 %, contre 70 % pour les consultations dans le cadre du parcours.
-  franchise de 1 euro par acte médical jusqu’à quatre fois par jour au lieu d’une ;
-  tiers payant réservé aux génériques ;
-  prix en baisse sur des médicaments délivrés en ville et à l’hôpital, ainsi que sur les pansements et les prothèses ;
-  baisse de tarifs des biologistes et radiologues (si accord avec les syndicats médicaux, sinon nécessité d’une loi) ;
-  renforcement du contrôle systématique des arrêts de travail de plus de 45 jours, au lieu de 60 jours.

Roselyne Bachelot et Eric Woerth ont présenté un « plan de redressement » de l’assurance-maladie destiné à économiser 417 millions d’euros. Les mesures prises, dont certaines pénalisent encore davantage les patients, ne sont pas de nature à répondre aux besoins de l’assurance-maladie. En réalité, les seules réponses gouvernementales aux questions de fond posées par les difficultés de financement de la sécurité sociale consistent à aller vers toujours plus de transferts de charge sur les ménages. La priorité donnée par le président Sarkozy au « pouvoir d’achat des Français » trouve rapidement ses limites. Or, le dépassement de l’objectif de croissance des dépenses de l’assurance maladie (ONDAM) était inévitable compte tenu du taux irréaliste affiché lors de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). Cette croissance est pourtant naturelle si l’on veut un système de santé plus performant. Ce qui n’exclut pas bien au contraire de mener une véritable réflexion sur l’organisation du système de santé, d’impulser une politique ambitieuse de prévention et de donner à l’hôpital public les moyens d’assurer ses missions. Le financement de la sécurité sociale est étroitement lié aux politiques d’emploi et de salaires, et une bonne partie du déficit serait annulée par une baisse du chômage. En ne s’engageant pas résolument dans une dynamique ambitieuse de créations d’emplois, en supprimant au contraire des milliers de postes de fonctionnaires, en refusant des augmentations salariales et encore récemment en limitant à 2 % la hausse du SMIC, le gouvernement prive la sécurité sociale des recettes qui lui sont indispensables. En exonérant les heures supplémentaires de cotisations et de CSG, il aggrave encore la situation. Il est temps que s’ouvre un débat sur le financement de la protection sociale qui a besoin de recettes supplémentaires.

 Cinq propositions pour une véritable réforme de l’assurance-maladie Contre la logique de privatisation induite par l’instauration des franchises, Attac se prononce pour une refondation d’une assurance-maladie qui permette réellement un égal accès à des soins de haut niveau pour tous. Ce principe implique de renforcer le régime d’assurance-maladie obligatoire pour passer progressivement à une prise en charge à 100 %. Pour ce faire, il faut agir sur plusieurs leviers et nous mettons en débat les propositions qui suivent. 1) Il faut améliorer le financement de l’assurance-maladie par un nouveau partage du revenu national qui soit plus favorable aux salariés. Il s’agit par là de rééquilibrer la part des salaires dans la valeur ajoutée. Une augmentation des cotisations patronales pourrait en être le moyen. Celle-ci est d’autant plus possible qu’en vingt ans les taux de cotisation des salariés ont augmenté de 8,2 % alors que ceux des employeurs n’ont progressé que de 1,8 %. Il est donc grand temps que ceux-ci rattrapent leur retard. Au-delà un débat existe à Attac, et plus largement dans le mouvement social, sur d’autres pistes de financement : extension de l’assiette des cotisations à l’ensemble de la valeur ajoutée, modulation des taux de cotisations, transformation de la CSG afin que les revenus issus du capital soient plus fortement taxés que ceux du travail de telle sorte que les salariés n’en soient plus les contributeurs essentiels. 2) Cette augmentation des recettes, pour indispensable qu’elle soit, doit s’accompagner du passage d’un système de soins à un véritable système de santé. Il s’agit d’abord de développer la prévention en agissant sur les déterminants sociaux de la maladie et en traitant les risques environnementaux et ceux liés au travail. Il s’agit ensuite de favoriser une meilleure coordination des professionnels de santé avec la mise en place de réseaux sanitaires et d’améliorer notamment la coordination entre les soins de ville et l’hôpital public. 3) Il faut pratiquer en matière de santé une véritable politique d’aménagement du territoire, notamment en matière d’installation des médecins, en traitant les causes de la pénurie en matière de professionnels de santé et en maintenant des hôpitaux de proximité en liaison avec les CHU, ce qui suppose d’abord de revenir sur le plan « Hôpital 2007 ». 4) Une nouvelle politique du médicament, permettant de contrôler les activités des multinationales du secteur aux profits faramineux, doit être mise en place. Non seulement l’utilisation des génériques doit être rendue obligatoire, mais c’est à la puissance publique de fixer les prix des nouveaux médicaments et d’autoriser leur mise sur le marché en fonction de leur apport thérapeutique réel comparé aux médicaments existants. Dans ce cadre, la publicité sur les médicaments ne doit pas être autorisée. La formation et l’information des médecins doivent être confiées à un organisme public indépendant de l’industrie pharmaceutique. 5) Ces nouvelles orientations doivent s’accompagner d’une véritable démocratie participative dans le domaine sanitaire. S’il s’agit d’abord de rétablir des élections à la Sécurité sociale afin que les assurés sociaux se réapproprient cet outil, il faut aussi organiser, tant au niveau local que national, des débats collectifs rassemblant tous les acteurs du système, organisations syndicales, associations de malades, mutuelles, professionnels de santé, etc. C’est à partir de ces débats que doit être décidé ce qui doit être remboursé par l’assurance-maladie, c’est-à-dire les meilleurs soins disponibles, et à partir de là de définir collectivement les moyens financiers à mettre en oeuvre.

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