Proposition de motion : Pour une vaste offensive altermondialiste en Europe

Ce texte constitue une proposition de motion, qui a été soumise au vote des comités locaux lors de la conférence nationale des comités locaux (CNCL) des 16 et 17 novembre 2013. Cette motion a été rejetée avec les résultats suivants : 10 votes pour ; 14 votes contre ; 21 absentions ; 10 comités locaux ne prenant pas part au vote.


Le carcan de l’Union européenne enjeu des élections à venir

Résumé   : l’objectif de cette motion est de proposer des ruptures par rapport au carcan juridique et politique de l’Union européenne tel qu’il existe aujourd’hui, afin de penser un possible affranchissement des peuples européens. Après un premier paragraphe d’analyse de la dérive libérale de l’UE depuis les années 1980  construire un projet politique européen sur d’autres bases »), la motion s’attache à dénoncer une des contraintes européennes les plus pesantes, l’UEM. Cinq propositions concrètes sont énoncées à la fin de ce chapitre  Rompre avec l’UEM et dénoncer le TSCG »). Le dernier paragraphe  Articuler mobilisations nationales et mobilisations européennes ») se propose d’énoncer quelques axes de travail d’Attac France en Europe, pour agir contre les politiques et projets de l’UE, et diffuser les propositions de rupture contenues dans cette motion

Dans les prochains mois, s’ouvriront de nouveaux terrains de confrontation dans l’Union Européenne.

Les politiques de l’UE sèment désolation sociale et désespérance. Elles continuent à mettre sous pression les États du sud de l’Europe avec de nouveaux mémorandums, des injonctions auxquelles les parlements et gouvernements se conforment, sapant les bases d’un débat démocratique, légitimant l’autoritarisme pour le plus grand profit de l’extrême droite. Une nouvelle phase d’intégration génératrice de nouvelles contre-réformes pourrait même être relancée.

Les mouvements sociaux continuent leurs mobilisations pour l’essentiel au niveau national, sans réussir jusqu’ici, à remettre en cause ces politiques de façon nette. Les tentatives de mobilisation européenne ou de coordination des mobilisations restent rares ou du moins difficiles, comme en témoigne le succès limité de l’Altersommet qui s’est tenu en juin à Athènes, à l’initiative de plus d’une centaine de mouvements, associations et syndicats, avec le soutien de forces politiques. Le peu d’écho du Mémorandum des peuples élaboré à cette occasion en est l’illustration. De nombreuses initiatives prises peinent à rassembler largement les militant-es au sein des organisations, faute d’appropriation large mais aussi de la multiplication des attaques qui peut créer un sentiment d’impuissance à l’échelle européenne.

Les élections européennes en 2014, mettront les questions d’orientation politique de l’UE au cœur des débats et amèneront Attac à s’exprimer sur le bilan de la construction européenne et sur son avenir. Dans le même temps, il est nécessaire, pour notre association, de construire et proposer patiemment des éléments de rupture avec l’ordre juridique européen, et de participer à la coordination des forces de ceux et celles qui refusent ces politiques destructrices.

Pour rompre avec les contraintes politiques européennes, nous devons donner de la consistance aux alternatives sociales et politiques qui naissent un peu partout dans l’UE et sa périphérie balkanique. Il faut renverser l’ordre juridique et politico-social européen. Parmi tous les projets de rupture, il en est un prioritaire : l’UEM (Union Economique et Monétaire), allant du statut de la BCE, en passant par les traités et bien sûr l’élaboration des plans d’austérité subordonnés aux financements privés.

Construire un projet politique européen sur d’autres bases.

En 1985, Jacques Delors, nouveau président de la commission européenne, accepte très vite d’endosser l’objectif politique prioritaire de l’ERT (European Round Table) : instaurer un marché unique – c’est-à-dire lever le contrôle des changes en autorisant la libre circulation des capitaux. L’Acte unique européen est signé en février 1986. L’étau est alors en place.

En juin 1985, l’ERT avait publié un texte : « changing scales (changer d’échelle) Le patronat européen y dévoilait sa vision et son intérêt. A l’échelle européenne, il serait simple pour lui d’imposer facilement ses idées, puisqu’il n’existait aucun « peuple européen » doté de contre-pouvoir cohérent, ni politique, ni social, qui puisse s’opposer à ses projets qui deviendront très vite des propositions de la commission, puis des décisions européennes.

La création de la CES en 1973, s’intégrait parfaitement dans ce projet européen, dans la mesure où la CES pratique avec beaucoup d’assiduité « le dialogue social européen ». Syndicat d’accompagnement du projet européen, la CES est elle-même un quasi rouage institutionnel. Ainsi, dans les faits, la CES fut un frein à la coalition des mécontentements et des oppositions sociales au projet politique de l’ERT.

La chute du mur, en 1989, a permis une accélération de l’orientation néolibérale amorcée en 1985.

Par l’élargissement (Europe centrale et orientale) et l’approfondissement (traité de Maastricht en 1992), le patronat européen a pu imposer sa vision : priorité des financements privés, dérégulations, déréglementations nouvelles règles d’austérité budgétaire, et concurrence entre peuples et citoyens européens. L’UEM, au cœur du traité de Maastricht, resserrait les mâchoires de l’étau. Les différentes phases de crise, depuis 2008, ont permis d’introduire de nouveaux outils qui visent à consolider les précédents, dans l’optique d’un projet politique qui n’a pas varié depuis les années 1980.

Attac depuis sa création, s’est opposée à cette dérive libérale voulue par l’ERT, et relayée par les gouvernements et les institutions européennes. Les crises politiques, financières, économiques et sociales dans lesquelles l’UE s’enfonce depuis 2008, nous montrent que les miracles irlandais ou espagnols n’étaient que des illusions. Les bulles financières et immobilières qui ont touché d’autres parties du monde n’ont pas épargné les enfants prodiges de l’UE. Le projet européen depuis la signature de l’Acte unique a accéléré le processus de destruction des sociétés européennes. Le défi pour les peuples européens est immense.

S’affranchir des contraintes de l’UE

Il est temps pour Attac de mettre en application, concrètement, l’un des mandats de son rapport d’orientation : «  s’affranchir de toutes les contraintes juridiques qui imposent des politiques libérales et que toutes les convergences possibles soient recherchées pour que ces contraintes soient aussi abolies au niveau européen » . [1]

Notre point de vue est qu’il faudra de nouveaux accords européens à partir des actuelles et futures mobilisations des communautés politiques et sociales à l’échelle où elles existent : les États. Pour cela, nous devons, dans tous les pays de l’UE où cela sera possible, et au-delà sur l’ensemble du continent européen et le pourtour méditerranéen, proposer des points de rupture que porteraient des gouvernements progressistes, issus et soutenus par des mouvements sociaux.

Un tel projet s’inscrit dans la perspective de construire une coopération et une réelle solidarité entre peuples européens. Cette idée implique que les rapports de force existant dans un pays puissent amener des forces progressistes au gouvernement et à proposer un ou des nouveaux cadres d’alliance, qui dessineraient une alternative à l’UE existante. Ce serait donc une rupture démarrée à l’échelon national s’inscrivant tout de suite à l’échelle européenne, sans pour autant inclure d’emblée l’ensemble des pays actuellement membres de l’UE. Une telle perspective permet d’envisager une autre Europe, même si elle n’est pas immédiatement d’actualité. Les ruptures doivent s’inscrire dans les résistances concrètes aux Traités d’austérité mis en place.

Rompre avec l’UEM et dénoncer le TSCG .

Tous les sacrifices demandés aux citoyens européens le sont au nom de la sauvegarde de l’UEM. Pour les institutions européennes, gouvernements et principaux partis représentés au Parlement européen, il faut sauver l’édifice de Maastricht (traité de Maastricht + Pacte de stabilité + TSCG+ ...).

Depuis le début de la crise de 2008, et l’envol des déficits budgétaires, les gouvernements européens avec la participation active des institutions européennes (le Parlement européen, la commission, et les BCE), ont imposé un nouveau traité pour renforcer le contrôle sur les budgets des États membres. Le TSCG, signé en 2011, ratifié en 2012, introduit des dispositions punitives automatiques pour les États qui ne respecteraient pas les règles de l’ordo-libéralisme. Ce traité introduit, pour la première fois dans les institutions européennes, des mesures qui privent les gouvernements de choisir les politiques publiques les plus adaptées aux besoins sociaux et environnementaux librement choisies par les peuples.

Les politiques d’austérité et de récession sociale sans fin s’annoncent donc comme le cadre institutionnel dans lequel les peuples européens vont être broyés.

Il est temps de rompre avec ce cadre juridique et politique et proposer un contre-modèle européen. F.Hollande s’y était même engagé par la renégociation du TSCG. Le texte initial est resté inchangé.

Les peuples européens ne peuvent donc espérer le moindre changement d’orientation politique de l’UE, dans le cadre des institutions et du jeu politique des partis dominants au plan européen.

Le combat des altermondialistes, au sein de l’UE, doit donc clairement s’organiser en tenant compte de cette réalité, en rupture avec ce cadre. Ils doivent, avec toutes les forces sociales et politiques qui le souhaitent, proposer des pistes pour s’affranchir des ces contraintes juridiques de plus en plus pesantes, antisociales et anti-démocratiques, qui font également obstacles aux investissements nécessaires pour mettre en œuvre une transition écologique.

Le réseau des Attac d’Europe s’inscrit dans une telle démarche et œuvre avec ses partenaires européens à un partage des analyses et une meilleure coordination des luttes et initiatives contre ces politiques.

Ainsi, l’assemblée de l’Altersommet sur la « gouvernance économique » a débouché sur une réunion stratégique européenne (Amsterdam, 4-6 octobre 2013) pour coordonner des campagnes communes.

Attac doit s’appuyer sur de telles initiatives pour élaborer et discuter nos alternatives.

L’ensemble de ces arguments pourraient être des éléments d’interpellation des forces politiques au moment des élections européennes.

Nous devons donc nous battre, avec les forces sociales et politiques des peuples européens, qui veulent agir efficacement contre le corset libéral de l’UE. Travaillons à la fédération des revendications sociales et démocratiques des peuples européens autour de nouvelles solutions pour sortir des crises et des blocages politiques de l’UE. Un nouveau projet européen peut se dessiner, autour de quelques idées fédératrices, en solidarité avec les populations les plus touchées par les politiques de destruction sociales – comme celles de la périphérie Est de l’Union, qui se combinent avec la dérive autoritaire de l’UEM, les États du Sud de l’Eurozone étant les plus touchés :

  1. Suspension des mémorandums imposés par la troïka dans tous les pays qui en sont les victimes.
  2. Audit des dettes publiques : création d’une commission de contrôle de la dette, sous contrôle citoyen, dans tous les États dans lesquels les gouvernements auront imposé un moratoire au remboursement de la dette publique.
  3. Contrôle public du système bancaire.
  4. En cas de refus de la BCE, les banques centrales nationales émettront de nouveau librement la masse monétaire nécessaire à la sauvegarde du « modèle social européen » et aux investissements.
  5. Permettre aux États la possibilité d’instaurer un contrôle des changes pour interrompre la libre circulation des capitaux.

Articuler mobilisations nationales et mobilisations européennes

L’interpellation des forces politiques et la critique institutionnelle ne sauraient constituer les seuls moyens d’une intervention d’Attac. Nous sommes conscient-e-s qu’il ne peut y avoir de rapport de forces politique et encore moins de pas en avant victorieux sans rapport de forces social.

On le voit tous les jours, dans tous les pays européens (dans l’UE ou hors de l’UE), l’échelle nationale est celle des mobilisations sociales et politiques, elle ne peut être contournée. Néanmoins, sur certains terrains, des mobilisations se construisent au delà des cadres nationaux. Il s’agit parfois de coordinations d’acteur-trices en luttes sur les mêmes questions dans différents pays (y compris les politiques d’austérité) mais aussi de mobilisations qui s’expriment directement sur des questions qui dépassent les frontières nationales (climat, migrations, libre-échange avec aujourd’hui PTCI : négociation de l’accord transatlantique EU / UE).

Si le patronat européen a compris que l’échelle européenne était pour lui l’espace géographique idéal pour imposer ses idées et qu’il a gagné toutes les batailles qu’il a entreprises, n’ayant essuyé aucune opposition sérieuse à ses offensives, c’est aussi parce que les forces organisées, syndicats, mouvements, associations, en opposition aux politiques néolibérales ne se sont pas assez coordonnées sur de tels objectifs et à cette échelle.

Nous continuerons à élaborer dans cette direction, en nous ancrant dans les dynamiques que nous avons construites avec d’autres ces dernières années : les initiatives d’audit citoyen en France et en Europe (au Portugal notamment) en sont un exemple.

L ’Altersommet, les coordinations d’Indignés ou de mouvements Occupy... ont permis, hier et aujourd’hui, au delà des difficultés réelles, actions concrètes de mouvements, solidarités actives dans les luttes, stratégies d’alliances entre forces intervenant sur le terrain social, environnemental, démocratique, féministe... Attac continue à s’inscrire dans ces débats et coordinations avec plusieurs objectifs :

  1. Travailler à élargir les cadres d’alliances pour y inclure diverses thématiques (santé) mais aussi les traditions organisationnelles et les pratiques différentes.
  2. Participer aux cadres les plus actifs : en particulier aujourd’hui les mouvements initiés par l’alliance allemande de Blockupy de Francfort en dénonciation de la Banque centrale européenne, qui devraient déboucher sur des propositions d’initiatives européennes en 2014.
  3. Inscrire notre action sur le PTCI (lutte contre la mise en place du grand marché transatlantique) dans le cadre de nos campagnes sur l’Europe.
  4. Agir au quotidien, que ce soit dans les campagnes de solidarité avec le peuple grec (campagne sur la santé et les dispensaires autogérés par exemple), ou le soutien aux luttes sur le logement (Espagne).

Notes

[1ce mandant est lui-même directement inspiré d’une motion votée par la CNCL, le 18 juin 2011 : « délégitimer les traités de l’UE, s’en affranchir, refonder une autre Europe ».