Un retour au dogme néolibéral dans l’Union européenne

jeudi 16 mai 2024, par Pierre Khalfa

Attac et la Fondation Copernic ont publié début mai Leur Europe et la nôtre, un livre pour éclairer les enjeux actuels autour de l’Union européenne et les défis majeurs à relever et présenter des propositions pour construire une Europe démocratique, sociale et écologique.

Nous publions ici un extrait de ce livre qui revient sur le retour au dogme austéritaire dans l’Union européenne. Leur Europe et la nôtre est disponible à la commande sur le site d’Attac.

Face aux crises successives qui ont frappé l’Union européenne – financière, sanitaire, géopolitique –, les autorités européennes ont été amenées à changer le cap des politiques monétaires et budgétaires. Elles actent désormais un retour au dogme néolibéral.

On se souvient en juillet 2012 du « Whatever it takes » de Mario Draghi, alors président de la Banque centrale européenne (BCE), qui avait promis qu’il ferait « tout ce qu’il faut » pour sauver l’euro. Rompant avec l’orthodoxie, la BCE a mis en place une politique monétaire « non conventionnelle » : achats massifs de titres publics et privés sur les marchés, taux réels négatifs, opérations de refinancement à long terme des banques. Ce qui a effectivement permis, à l’encontre des traités, d’aider les États à se financer, en stoppant la spéculation sur les dettes souveraines et réduisant fortement les taux d’intérêt auxquels les États empruntaient.

Cette politique n’a pas été sans inconvénient et a buté sur sa logique même : déverser des liquidités, non pas directement pour financer la transition écologique et le bien-être social ou des investissements productifs, mais sur les marchés financiers. Si la déflation a été évitée, pour l’essentiel ces liquidités ont nourri une bulle financière et n’ont pas été pas injectées dans le circuit économique

Puis, la crise sanitaire a vu la BCE amplifier sa politique et rompre avec trois tabous. Les achats de titres publics étaient proportionnels à la part de capital des États dans la BCE, ce qui faisait que les « grands pays » étaient favorisés. La BCE a décidé lors de la crise sanitaire de rompre avec cette règle et d’acheter en priorité les titres publics des pays les plus en difficultés. Jusqu’alors, dans l’achat de ses titres, la BCE appliquait le principe de la « neutralité de marché ».

Or en achetant des titres des grandes entreprises polluantes, la BCE leur permettait de se financer à moindre coût. La BCE a décidé que, dorénavant, elle tiendrait compte de critères liés au changement climatique. Le dernier point concerne la cible d’inflation. Le mandat donné par les traités à la BCE, la stabilité des prix, a été traduit par cette dernière en un objectif précis : l’inflation ne devait jamais dépasser les 2 % par an. Désormais cet objectif sera à tenir à moyen terme, ce qui signifie que l’inflation pourra temporairement dépasser les 2 %.

Des évolutions notables avaient été aussi notées du côté de la Commission européenne et des États européens. Suite à la crise financière, tous les gouvernements s’étaient lancés dans une course à l’austérité qui avait abouti à une récession suivie d’une stagnation économique. Par contre, lors de la crise sanitaire, la Commission a suspendu le Pacte de stabilité (une suspension prolongée ensuite jusqu’à fin 2023 du fait de la guerre en Ukraine).

De plus, les gouvernements ont mis en place des mesures de soutien aux populations, certes de façon inégale suivant les pays, qui ont évité le pire. Enfin, en juillet 2020, l’Union européenne a, pour la première fois de son histoire, accepté le principe d’un endettement commun pour financer un plan de relance de 750 milliards d’euros dans le cadre du programme NextGenerationEU. Même s’il faut relativiser ce chiffre en le rapportant aux quelque 15 000 milliards annuels du PIB de l’UE et à la période de trois ans sur laquelle il a été initialement programmé, un tabou était cependant tombé.

On aurait pu penser que ces mesures auguraient d’un changement de politique. Il n’en a rien été et on a assisté à un retour des politiques néolibérales tant sur le plan monétaire que budgétaire.

Dangereuse marche arrière des politiques européennes

À partir de 2022, les banques centrales ont en effet mis en œuvre de fortes hausses des taux d’intérêt supposées lutter contre l’inflation. Ce durcissement de la politique monétaire est à la fois dangereux et inefficace. Dangereux, en premier lieu, parce que les hausses brutales des taux d’intérêt ont déclenché une crise bancaire internationale en 2023 ponctuée par des faillites bancaires retentissantes aux États-Unis et en Suisse. Elles font aussi peser le risque d’une nouvelle crise des dettes publiques due à des attaques spéculatives qui, comme en 2010-2012, se déchaîneraient contre des pays que les investisseurs jugeraient les plus fragiles, (Italie, Espagne, Portugal, Grèce, etc.). Au fond, tout se passe comme si les banques centrales, dont la BCE, n’avaient pas tiré les leçons de la crise financière de 2008 qui avait été également déclenchée par une hausse brutale des taux d’intérêt initiée par la Fed.

En second lieu, le durcissement de la politique monétaire est inefficace car fondé sur un diagnostic erroné de l’inflation actuelle. En effet, par la hausse du prix de l’argent, ce resserrement de la politique monétaire vise à réduire la demande et à freiner l’inflation salariale. Or la cause de l’inflation actuelle se situe plutôt du côté de l’offre, selon des mécanismes contre lesquels la politique monétaire est inefficace, tels que la désorganisation des chaînes de valeur et les comportements de marge des grandes entreprises à l’origine d’une boucle profits – prix. Pire, la politique de hausse des taux d’intérêt est contre-productive, car elle contribue à freiner l’investissement privé et public au moment où la bifurcation écologique requiert un effort d’investissement sans précédent.

Au moment où nous écrivons ces lignes, l’inflation a fortement baissé en zone euro. Elle s’élevait au mois de janvier 2024 à 2,8 % contre 8,6 % un an plus tôt. Cette baisse est due essentiellement à une chute des cours du pétrole et du gaz ainsi qu’à la remise en ordre progressive des chaînes de productions mondialisées, facteurs sur lesquels la hausse des taux d’intérêt n’a eu aucune influence. Par contre, celle-ci a entraîné une stagnation économique qui pourrait se transformer en récession avec les conséquences pour l’emploi que l’on peut deviner. On se trouverait alors dans une situation où les taux d’intérêt réels (défalqués de l’inflation) risqueraient d’être supérieurs au taux de croissance ce qui ferait mécaniquement monter le poids de la dette dans le PIB. Et pourtant la BCE continue à vouloir maintenir ses taux d’intérêt à un haut niveau.

Fausse réforme du Pacte de stabilité

Suite à la suspension du pacte de stabilité par la Commission, une réforme de ce dernier avait été annoncée. Celle-ci a accouché d’une souris. Le nouveau Pacte de stabilité décidé fin 2023 préserve le dogme néolibéral de l’application mécanique des règles budgétaires qui ne peut que mener à l’austérité.

Les totems des 3% de déficit et de 60% par rapport au Pib des dettes sont maintenus. Les États devront désormais présenter leur propre trajectoire d’ajustement de leurs finances publiques sur une période d’au moins quatre ans. Tous les pays en déficits excessifs (au-delà de 3%), ce qui concerne notamment la France, seront contraints à un effort minimum de réduction de leur déficit structurel de 0.5% par an, une flexibilité temporaire jusqu’en 2027 pouvant être accordée si la charge d’intérêt de la dette s’accroit par suite de la hausse des taux. La dette des États dont le déficit est inférieur à 3 % devra baisser d’un point de PIB par an en moyenne sur les quatre ou sept années suivantes. Ils devront réduire leur déficit budgétaire de 0,4 point de PIB par an (0,25 en cas de réformes structurelles).

Enfin ces pays devront respecter un objectif supplémentaire, celui d’atteindre 1,5% du déficit structurel primaire (hors charge de la dette). Rappelons que le déficit structurel est un indicateur censé calculer le déficit budgétaire hors des variations de la conjoncture. Or sa mesure ne fait pas l’unanimité, elle varie selon les économistes, et dépend d’un certain nombre d’hypothèses elles-mêmes discutables. Il s’agit donc d’une construction statistique largement arbitraire, ce d’autant plus qu’il reviendra à la Commission de la calculer.

Pierre Khalfa

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