La Poste : de la libéralisation à la privatisation

vendredi 14 novembre 2008, par AITEC, Attac France, Fondation Copernic

Il a fallu la parution d’un article du Monde , le 4 juillet 2008, pour qu’enfin les 285 000 postiers français apprennent que les dirigeants de la Poste et le gouvernement envisageaient un changement du statut de l’entreprise, suivi d’une ouverture de capital. Démarche hélas prévisible, dans le cadre d’une libéralisation forcenée des services mise en place par l’Union européenne dès 1986, même si aucune directive ne l’impose.

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Démarche confirmée le 28 août par Jean-Paul Bailly, président de la Poste, qui prévoit la transformation en société anonyme pour 2010, et l’ouverture du capital pour 2011. Avant toute chose, il est nécessaire de rappeler ce qu’on appelle « libéralisation » en matière d’économie. Il s’agit d’ouvrir à la concurrence une activité économique en situation de monopole, ce monopole étant dans la plupart des cas détenu par l’État. Un telle ouverture à la concurrence est censée, selon les chantres du libéralisme, encourager l’innovation, la qualité des services et la baisse des coûts pour les clients. En principe, elle n’entraîne pas forcément la privatisation des entreprises publiques, mais la réalité montre qu’il en va tout autrement. D’une part, que ce soit au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou de l’Union européenne, les règles de la concurrence sont telles qu’elles interdisent aux États, sauf rares exceptions, de venir en aide à leurs propres entreprises, qui doivent se débrouiller par elles-mêmes pour assurer des services souvent non rentables, délaissés par les entreprises concurrentes dont l’intérêt va uniquement aux services rentables. De l’autre, la réalité montre que le processus de libéralisation conduit systématiquement à la privatisation, d’abord sous forme d’ouverture du capital (il s’agit, nous dit-on, de renforcer l’entreprise pour la rendre plus compétitive), puis par l’abandon progressif de la participation de l’État. Le cas de France Télécom est à ce sujet exemplaire.

Les fausses raisons d’une vraie privatisation

Pour tenter de justifier le changement de statut et l’ouverture du capital de la Poste, quelques experts autodésignés avancent des arguments bien connus (on a utilisé à peu près les mêmes pour France Télécom et EDF), mais qui ne résistent pas à l’analyse.

1. « Ce changement de statut nous est imposé par Bruxelles - il est inévitable »

Les directives européennes successives et la mise en concurrence ont eu des effets importants en matière de désorganisation du service public postal. Néanmoins, à aucun moment, ces directives n’ont imposé un statut aux opérateurs postaux. Il en est de même aujourd’hui : pour Bruxelles, l’ouverture au marché n’implique pas la privatisation. L’Union européenne incite à la privatisation par tous les moyens dont elle dispose. Mais elle n’a aucune compétence en matière de régime de propriété. La privatisation est de compétence nationale. Économiquement, nous avons connu des entreprises publiques qui vivaient dans un environnement concurrentiel : Renault, publique jusqu’en 1996 alors que le marché de l’automobile était mondial ; Aérospatiale, constructeur d’Airbus, n’a été privatisée que sous le gouvernement Jospin ; de même la SNECMA, constructeur de moteurs d’avions pour un marché mondial, est restée publique très longtemps. Ces entreprises publiques industrielles ont vécu longtemps sur des marchés où la concurrence était rude. Si elles l’ont pu, on ne voit pas pourquoi la Poste ne le pourrait pas.

2. « La privatisation s’accompagnera d’une « délégation de service public » qui permettra d’imposer, mieux qu’aujourd’hui, un cahier des charges pour remplir la mission, il sera négocié localement »

C’est un argument mis en avant par le gouvernement, la direction de la Poste et les défenseurs du projet de privatisation, comme le président de l’Association des maires de France. La loi de régulation postale de mai 2005 a ouvert la porte à une dégradation sans précédent du service public postal. Le contrat de service public signé en juillet 2008 entre l’État et la Poste reprend les critères retenus dans cette loi. Le gouvernement a mis en place une stratégie de défaisance qui l’a amené à soutenir la dernière directive postale en 2007. Pour compenser la perte de monopole, il a pris des mesures d’économies qui ôteraient tout « handicap concurrentiel » à la Poste. Il faut que celle-ci se mesure aux autres entreprises du secteur ! Et la mission de relève, de traitement et d’acheminement du courrier est, jusqu’au 1er janvier 2011, financée par le monopole pour les plis de moins de 50 grammes. Le cahier des charges qui prévoit la réduction des délais d’attente, par exemple, est une garantie bien limitée ! Si la porte est déjà ouverte, l’introduction de capitaux privés, même minoritaire, conduirait immédiatement à imposer de façon plus radicale la logique de rentabilité : l’ensemble des activités sera jugée sur des critères de rentabilité capitaliste : comparaison avec d’autres entreprises privées, ratios de charges de personnels et d’investissements... L’entrée en Bourse constituerait un pas supplémentaire, les résultats économiques et financiers des entreprises étant regardés du point de vue du cours de l’action et de la capacité à produire du dividende. Cela a des implications sur les stratégies d’entreprises, les choix d’investissements, l’emploi, les conditions de travail… L’expérience montre que la délégation de service public est totalement inopérante avec les grandes firmes privées. L’eau est un bon exemple. Cela tient à ce que les pouvoirs publics locaux, et même nationaux, n’ont pas les moyens de contraindre ces firmes à agir selon un autre objectif que le leur : profit maximum le plus vite possible.

 Le cas France Télécom La poste et les télécommunications étaient naguère regroupées en une seule entreprise, plus connue sous le sigle PTT. Mais, avec l’Acte unique européen (1986) et la décision de construire un « grand marché intérieur », naît l’idée de créer des réseaux transeuropéens concernant les télécommunications, les transports et l’énergie (TTE), réseaux bien entendu ouverts à la concurrence. C’est dans ce cadre que, le 1er janvier 1988, en France, la poste et les télécommunications se séparent en deux entités distinctes (le phénomène se produit de la même façon et à la même époque en Allemagne), et que naît France Télécom. La suite est un long parcours visant à couper progressivement les racines avec l’État. D’abord, en 1990, avec la loi Quilès, France Télécom, tout comme la Poste, se transforme en exploitant de droit public, doté de l’autonomie financière et d’une personnalité morale distincte de l’État : autrement dit, son budget ne sera plus voté par l’Assemblée nationale et le lien avec l’autorité de tutelle se fait plus lâche. Puis, la libéralisation totale du secteur européen des télécommunications, programmée pour le 1er janvier 1998, sert de prétexte à l’ouverture du capital. Dans ce but, France Télécom se transforme en société anonyme (juillet 1996). Une première ouverture du capital a lieu en 1997, suivie d’une autre en 1998. Mais ce n’est pas suffisant : en 2003, une nouvelle loi permet que l’État puisse être minoritaire dans le capital, ce qui se réalise en 2004, et donc la société devient une entreprise privée, même si l’État y conserve une minorité de blocage (plus d’un tiers des parts). Ce dernier verrou saute en 2007, année où la participation publique est portée à 27 %. Tel sera, n’en doutons pas, l’avenir de la Poste si elle entre dans l’engrenage de l’ouverture du capital. Et, pour ceux qui croiraient encore aux promesses gouvernementales, rappelons qu’en 2004 Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’économie et des finances, avait juré que jamais GDF ne serait privatisé : aujourd’hui, l’État ne possède plus que 35,7 % du groupe GDF-Suez ! Le système est d’autant plus pervers que, sous couvert de concurrence libre et non faussée, un opérateur, désormais privé, profite de tous les avantages acquis lorsqu’il était public (on l’appelle aussi « opérateur historique »), et donc conserve le plus souvent sa position dominante, sauf que celle-ci est utilisée pour accroître sa rentabilité financière et non pour servir l’intérêt général, et que les bénéfices ne vont plus au budget de l’État, mais aux actionnaires.

3. « Pour financer la modernisation de la Poste, pas d’autres choix que d’ouvrir le capital » Tel est l’un des arguments les plus régulièrement servis pour justifier les opérations de privatisation. Or, le groupe La Poste n’est pas en déficit : bénéfice de 800 millions d’euros en 2006 et 1 milliard d’euro en 2007, et ce alors même que l’État lui impose d’assumer un certain nombre de coûts (comme les tarifs bonifiés dont bénéficient les éditeurs afin de soutenir la diffusion de la presse). Derrière ce terme de « modernisation », se cache la volonté de poursuivre la transformation de la Poste en une entreprise privée transnationale. Ce que permettrait l’ouverture du capital, ce n’est pas la mise à niveau des centres de tris, la mise en place d’un réseaux de distribution express par TGV, mais bien la possibilité pour la Poste de participer au grand jeu de Monopoly qui s’organise sur les dépouilles des systèmes publics européens.

4. « Pour permettre à l’entreprise de résister à la concurrence, il faut lui donner les moyens d’un développement international »

Le besoin de capitaux pour s’internationaliser est aussi un argument qui a déjà beaucoup servi : l’ouverture à la concurrence va faire perdre des parts du marché national et oblige à aller en chercher à l’international. Pour ce faire, il faut acheter des opérateurs à l’étranger. C’est la combinaison des niveaux européen et national de l’offensive contre les services publics : on prend appui sur la libéralisation européenne pour procéder à la privatisation nationale. On ne prend plus la peine de montrer que l’internationalisation est utile au service public ; le raisonnement se borne aux parts de marché. C’est-à-dire que l’on est déjà dans la logique privée. La croissance internationale assure-elle au moins de pérenniser l’entreprise ? Non. L’Italie connaît ainsi des difficultés avec deux de ses entreprises nationales : Telecom Italia et Alitalia . Rachetées essentiellement par des sociétés privées, rien n’assure qu’elles seront maintenues et que le service prendra en compte les besoins des Italiens. Quant aux salariés, ils sont sacrifiés sur l’autel de la compétitivité : France Télécom a licencié plus de 40 000 salariés polonais depuis son rachat de l’opérateur historique... Cette situation peut toucher demain en France l’une ou l’autre des entreprises récemment privatisées. De même, rien n’empêche, dans un contexte purement spéculatif et de forte concurrence, des opérations de rachat à la faveur d’une baisse du cours de bourse. On doit aussi s’interroger sur le point de savoir si cette façon d’affronter la concurrence (la croissance externe) est adaptée. Le prix immédiat est élevé pour un rapport totalement hypothétique. Le meilleur moyen de se défendre, pour les entreprises de service public, est de renforcer leur relation actuelle avec la population et de cultiver ce qui est leur premier savoir-faire : le service public. C’est une tout autre vision des choses. EDF devrait investir dans ses missions de service public et de recherche : travailler sur les énergies renouvelables et les économies d’énergie, secteur qui a assurément plus d’avenir que les vieilles centrales nucléaires britanniques. L’acquisition de British Electric a coûté près de 16 milliards d’euros. La SNCF devrait améliorer d’urgence ses équipements, cesser de fermer des liaisons et conserver le maillage le plus serré du territoire. Elle s’apprête pourtant à dépenser 80 millions d’euros pour acquérir 20 % de la compagnie italienne NTV... Quant à la Poste, doit dépenser, en 2008, 500 millions d’euros pour acquérir 50 % de l’opérateur espagnol SEUR et 140 millions pour l’achat d’Experian, une société de services en ingénierie informatique. Les opérations d’achat envisageables se chiffrent désormais en milliards d’euros. Avec les 500 millions de SEUR il est possible d’entretenir 1 000 guichets de plein exercice de la Poste pendant dix ans (salaires, loyer, informatique). Au-delà, si vraiment la Poste a besoin de capitaux, d’autres solutions existent qui ne supposent pas une privatisation, comme, par exemple, la levée d’un emprunt obligataire.

 Accessibilité bancaire, le cadeau aux banques Le droit au compte universel n’existe pas en France. Les textes réglementaires, limités, ne sont pas appliqués par les banques. La Banque de France, qui devrait jouer un rôle de gendarme, ne le fait pas. Les clientèles défavorisées, sans domicile fixe, gens du voyage, immigrés, surendettés et interdits bancaires n’ont que la Poste et, dans la plupart des cas, le Livret A comme ressource pour toucher leurs salaires et indemnités, en espèces ou par chèques de banque gratuits. La création de la Banque postale vient bouleverser la donne, avec des exigences de rentabilité incompatibles avec la fréquentation des clientèles pauvres. La loi de modernisation de l’économie a validé la banalisation du livret A et le monopole de ces clientèles attribué à la Poste… qui n’en veut pas et aimerait bien les cantonner dans des bureaux de poste « ghettos », sous prétexte qu’elles nuisent à sa rentabilité et à son image de marque, ou encore qu’elles « cannibalisent » les guichets.

5. « La Poste fonctionne déjà sur le mode du privé, la privatisation ne changera rien » Différents éléments sont mis en œuvre, parfois depuis des années, qui préparent le terrain : concurrence, dégradation du service rendu aux usagers, et transformation de la gestion du personnel. Le basculement du travail quotidien de centaines de milliers d’agents vers de nouvelles normes de travail ne peut s’opérer en un jour. Les privatisations se sont appuyées sur des campagnes idéologiques continues. Pour la Poste, cette offensive vise à promouvoir dans chaque geste quotidien, le « bon réflexe ». La rentabilité doit remplacer le service public comme guide conducteur : Pourquoi ne pas proposer un service financier ou des produits de papeterie à un usager qui vient acheter un timbre ? Pourquoi parcourir 10 km pour livrer une seule lettre que l’on pourrait remettre le lendemain ? Pourquoi garder un compte où ne transitent que quelques euros, et où chaque transaction coûte plus cher que ne rapporte le dépôt ? Des consignes limitées aujourd’hui pourraient conduire demain à l’abandon pur et simple de certaines missions. Plus question de répondre aux besoins : contact humain pour le facteur, sécurité dans la maintenance aéronautique, disponibilité de l’agent d’EDF. À l’origine, le statut des fonctionnaires ou des salariés des grandes entreprises publiques était lié à ces exigences fortes de service public. L’attaque s’est donc largement appuyée sur la remise en cause du statut des salariés de la Poste. Plus de 40 % du personnel est déjà sous statut privé, ce sont les personnels les moins qualifiés, au salaire peu élevé, et une grande part de femmes. Défendre le service public quand on gagne autour de 1 050 euros net par mois, sans perspective de carrière, est difficile. Cette politique s’accompagne de la mise en concurrence des salariés. Les métiers sont confrontés à un calcul autonome de la rentabilité. Pourtant le travail du postier intègre les différentes dimensions, qu’on ne peut découper en financier, courrier, colis... Le colis repose sur le réseau des facteurs pour la distribution. La Banque postale fonctionne avec du personnel travaillant dans les bureaux de poste. La direction propage aussi l’idée que la privatisation libèrerait la gestion de l’entreprise d’un carcan étatique et permettrait même d’envisager une participation aux bénéfices. Rappelons que la Poste est d’abord une entreprise de main-d’œvre où les salaires sont bas. Comment imaginer que les salariés tireront des bénéfices d’une telle situation ? L’ouverture du capital aggraverait brutalement ces tendances en instaurant la domination définitive de la rentabilité sur le service public.

  La multiplication des filiales : diviser pour mieux privatiser

Le départ de France Télécom marque la première scission et pourrait laisser croire que l’organigramme de la Poste est aujourd’hui on ne peut plus simple. Il n’en est rien : en vingt ans, sous prétexte de modernisation et d’adaptation, le groupe La Poste a multiplié ses filiales (291 filiales en 2008), certaines ayant déjà le statut de sociétés anonymes, et aussi ses acquisitions et ses implantations à l’étranger (Allemagne, Espagne, Royaume-Uni, États-Unis, pays d’Europe de l’Est et pays émergents, etc.). Aujourd’hui, le groupe est divisé en quatre « métiers » : le courrier, les colis et express, les services financiers et le réseau des bureaux de poste. Voyons les choses d’un peu plus près. 1. Le courrier : c’est là que les filiales sont le plus nombreuses, regroupées en quatre pôles composant le holding Sofipost . Il y a d’abord Doc@post , pôle réservé aux entreprises, leur assurant la gestion des documents et des données (filiales : Aspheria, Certinomis, Dynapost, Ingéniérie Solutions Courrier, Maileva, Orsid, Selisa, Seres, SF7, Xange Capital). Le second pôle, Publipost , comme son nom l’indique, est dédié au publipostage (filiales : Mediapost, Mediapost Data, STP, Néolog, Néopress). Troisième pôle, La Poste Global Mail , chargée de l’international (filiales : Brokers Worldwide, BTP Mailflight, La Poste UK Limited, Sofrepost). Vient enfin Viapost , pôle consacré au fret (filiales : Fret GV, et tout récemment Greenovia et Mobigreen, dédiées au « courrier vert »). On en oublierait presque l’essentiel, du moins aux yeux des clients particuliers, la Direction du courrier. 2. Les colis et express : ce « métier » est divisé en deux parties. La première, ColiPoste , est l’opérateur interne de la Poste, chargé de la livraison aux particuliers en 48 heures et plus. La seconde, GeoPost , regroupe des filiales françaises (Chronopost International, Taxicolis, Exapaq) et internationales (réseau DPD, Parceline, Interlink, Armadillo, SEUR, liste en perpétuelle évolution au gré des acquisitions, des fusions et des ventes). 3. La Banque postale : sa naissance s’est faite en deux étapes. D’abord, en 2000, est créée la filiale Efiposte, qui permet une gestion financière échappant au contrôle du Trésor. Puis, le 1er janvier 2006, Efiposte devient la Banque postale, société anonyme dont le capital est pour l’instant détenu à 100 % par la Poste. En partenariat avec de nombreux organismes privés, la Banque postale possède aussi ses propres filiales, regroupées dans un holding appelé SF2, spécialisées notamment dans les domaines de l’assurance et de la gestion d’actifs.

 La presse menacée La Poste est chargée de l’acheminement et de la distribution de la presse, une opération dont le chiffre d’affaires dépasse les 1,5 milliards d’euros par an. Les tarifs dont bénéficient les éditeurs laissent à la charge de l’entreprise près de 500 millions d’euros par an. La Poste assume cette mission, en dégageant malgré tout des bénéfices depuis 1990. Le gouvernement versait pour sa part environ 240 millions d’euros par an. Avec l’ouverture du marché, la solution proposée par le gouvernement est simple : davantage de productivité à la Poste, des tarifs en augmentation pour les éditeurs et l’aide de l’État en baisse.

4. L’enseigne La Poste : le réseau des bureaux de poste revendique actuellement 17 000 points de contact, dont 5 000 en partenariat avec des collectivités locales ou des commerçants. La recherche de la rentabilité entraîne la fermeture de nombreux bureaux de poste, et ceux qui restent sont encouragés à faire du chiffre par tous les moyens, par exemple en proposant aux usagers, devenus « clients », toute une gamme de produits parfaitement inutiles. Il faut savoir en outre que plus de 10 000 postes de guichetiers ont été supprimés en trois ans, ce qui entraîne de longues files d’attente et l’insatisfaction des usagers. Pour revenir à l’accumulation de filiales, elle peut sembler absurde, elle l’est d’ailleurs, mais il s’agit de préparer la privatisation, qui pourra se faire soit sur l’ensemble du groupe, soit sur tout un « métier » (on pense évidemment à la Banque postale, devenue société anonyme), soit sur un holding ou sur certaines filiales travaillant déjà en partenariat avec des groupes privés. En outre, un tel cloisonnement détruit la solidarité entre employés du groupe, déjà mise à mal par la différence de statut entre fonctionnaires et contractuels : ces derniers représentent, en 2008, 41,6 % de l’ensemble du personnel (proportion en constante augmentation), et gagnent en moyenne 450 euros de moins par mois que les fonctionnaires. Ajoutons que l’intéressement du personnel à l’entreprise aggrave les inégalités : alors que la plupart des postiers se sont vu attribuer une prime de 94 euros au titre de l’exercice 2007, cette somme s’est élevée à 3 800 euros en moyenne pour le personnel du siège de la Banque postale.

 La Poste, un monopole de l’État depuis les origines La Rome antique connaissait une poste impériale centralisée, dont les vestiges s’effondrent au Moyen Âge. La création de la poste moderne est surtout liée au personnage de Louvois, ministre de Louis XIV, surintendant général des postes et relais à partir de 1668, qui organise un système centralisé exploité par la Ferme générale des postes. À la Révolution, la Ferme générale des postes est supprimée et remplacée par un service public entièrement exploité par l’État. À cette époque, le service postal est essentiellement urbain ou interurbain, délaissant presque totalement les campagnes. De plus, la taxe sur les messages est acquittée par les destinataires, et elle varie selon les distances parcourues. Le premier problème est réglé en 1830 avec la généralisation de la distribution du courrier, un jour sur deux, sur l’ensemble du territoire, grâce à plus de 5 000 facteurs (la distribution devient quotidienne dès 1832). Le second est résolu par la Réforme postale, née en Angleterre en 1839, puis étendue à l’ensemble du monde. Le principe en est simple : d’une part la taxe sur le courrier doit être payée par l’expéditeur, de l’autre ce dernier ne doit pas être taxé en fonction de la distance parcourue par sa lettre. C’est l’instauration du tarif unique, rendu possible par le système de péréquation, élément essentiel de tout service public : les activités rentables financent celles qui sont déficitaires, de façon à assurer la mission de service public sur tout le territoire, à un coût supportable par l’ensemble de la population. La Réforme postale s’accompagne de la création du timbre-poste qui, lié à l’implantation de boîtes aux lettres, permet en principe l’anonymat et l’inviolabilité du courrier envoyé. Le premier timbre, le célèbre Penny Black , voit le jour en Angleterre en 1840. Il faudra passer par une révolution pour que la réforme postale s’applique enfin à la France, à partir du 1er janvier 1849, avec « une taxe fixe et uniforme de 20 centimes pour toute lettre circulant à l’intérieur, dont le poids n’excédera par 7 grammes et demi, et quelle que soit la distance à accomplir dans toute l’étendue de la France, de la Corse et de l’Algérie ». D’autres tarifs sont fixés en fonction du poids des envois ou de l’expédition en recommandé, le tout accompagné de timbres-poste à l’effigie de Cérès. Par la suite, l’administration des postes absorbe celle des télégraphes : le ministère des postes et télégraphes est créé en 1878. La même année, le téléphone arrive en France, mais il est d’abord exploité par une société privée, avant d’être nationalisé en 1889 et rattaché au télégraphe. Le ministère de tutelle, d’abord sous-secrétariat puis secrétariat d’État, prend en 1929 le nom de ministère des postes, télégraphes et téléphones (PTT). Il deviendra en 1960 le ministère des postes et télécommunications, tout en conservant le sigle PTT, transformé en P et T en 1986, deux ans avant la création de France Télécom et quatre ans avant que la Poste et France Télécom acquièrent chacune un statut assimilable à celui des EPIC (établissements publics à caractère industriel et commercial). À noter aussi le rôle essentiel des services financiers de la Poste, dès le XIXe siècle : le mandat postal date de 1817, la Caisse nationale d’épargne (CNE) voit le jour en 1881 (le livret d’épargne prendra en 1966 le nom de Livret A), tandis que les chèques postaux sont créés en 1918.

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