James Tobin, la taxe Tobin et Attac

mercredi 12 septembre 2001, par Attac France

La publication, aux États-Unis et dans plusieurs journaux européens, d’une interview de James Tobin initialement parue dans Der Spiegel nous offre un bon exemple de manipulation de l’information à des fins politiciennes.

1.- James Tobin est-il oui ou non favorable à la taxe qui porte son nom ?

L’interview confirme que la réponse est bien « oui ». Le Prix Nobel d’économie persiste et signe. Et cela au sens propre du mot : déjà, dans le numéro 83 (printemps 1999) de Politique internationale, James Tobin rappelait, dans une longue interview, les mérites de sa taxe. En mai 2000, à côté de centaines d’autres économistes du monde entier,il confirmait cette position en signant un Appel mondial des économistes, lancé par le Center for Economic and Policy Research (CEPSR)de Washington.

Que dit cet appel ? « Des taxes sur les activités de spéculation financière, comme la taxe Tobin sur les transactions monétaires rendent la spéculation plus coûteuse et en réduisent donc le volume, ca qui peut contribuer à la stabilisation des marchés financiers. L’historique des taxes sur les transactions financières, ainsi que les preuves de longue date du succès d’autres formes de régulation financière montre que la mise en place de taxes sur la spéculation financière peut être une réussite ».

2.- James Tobin, avec sa taxe, entend contribuer à la stabilisation du système financier international. Est-il également intéressé par la dimension redistributrice de cette mesure ? 

Sa réponse est plus nuancée qu’on ne le proclame. D’un côté ( Le Monde du 11 septembre ), il indique : « Les recettes ne sont, pour moi, que secondaires », mais il ajoute : « Je serais heureux si ces sommes parvenaient aux pauvres de la planète ». L’Appel de Washington, dont il est co-signataire, dit explicitement : « De plus, de telles taxes permettent de réunir une somme significative de recettes pouvant être utilisées pour combler d’importants besoins sociaux ».

3.- Attac a-t-elle jamais fait dire autre chose à James Tobin ?

A aucun moment. Dans tous leurs textes, livres, interventions, les responsables d’Attac ont toujours soigneusement distingué l’objectif visé par le Prix Nobel, et que l’association partage (car nous savons que les crises financières frappent plus durement les déshérités), et les deux autres objectifs qui nous appartiennent en propre :

- dégager des ressources pour le développement du Sud, donner au milliard d’humains qui en sont dépourvus accès à l’eau potable, lutter contre le sida, le paludisme, etc.

- permettre aux gouvernements, et donc aux citoyens, de reconquérir une partie des espaces démocratiques abandonnés aux marchés financiers. Nous considérons d’ailleurs cette dimension comme la principale raison de l’opposition à la taxe Tobin dans les milieux financiers et chez leurs porte-parole politiques : ils y voient, à juste titre d’ailleurs, un précédent qu’Attac et les autres mouvements citoyens utiliseraient pour demander bien davantage en termes de régulation de l’économie et des flux de capitaux.

4.- Le sigle Attac comporte-t-il le nom de Tobin dans sa déclinaison ?

Non : Attac se décline en Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens. Il est vrai que, dans son éditorial du Monde diplomatique de décembre 1997 lançant l’idée d’ Attac, Ignacio Ramonet, directeur du mensuel, avait donné aux deux T d’Attac la déclinaison de « Taxe Tobin ». Il faut dire qu’il avait d’abord inventé le sigle avant de se préoccuper de sa déclinaison... Mais il avait évidemment en mémoire les différents articles sur la taxe Tobin publiés au cours des années précédentes dans Le Monde diplomatique.

Cependant, lorsque l’association fut effectivement créée, en juin 1998, et ses statuts déposés, « Taxe Tobin » ne figura pas dans la déclinaison, les 2 T renvoyant à Taxation des Transactions (financières). A cela deux raisons : ne pas impliquer Tobin, même indirectement, et surtout ne pas limiter le champ d’action d’Attac à cette taxe. Par ailleurs, comme l’atteste la plateforme constitutive d’Attac, la taxation des transactions financières est seulement l’une des modalités de lutte contre la mondialisation libérale. Nous sommes tout aussi présents sur les fronts de l’OMC, de la dette, des paradis fiscaux, des multinationales, etc. Réduire l’action d’Attac à la taxe Tobin, c’est faire preuve d’une méconnaissance totale de ce qu’est l’association.

5.- Attac a-t-elle abusivement utilisé par ailleurs le nom de Tobin ?

Il faut distinguer l’utilisation du nom de James Tobin en tant que personne, et celle de la taxe qui porte son nom.

Jamais Attac n’a invoqué le nom de l’économiste comme soutien de l’association. Bien au contraire, dans ses interventions sur le sujet, le président d’Attac, Bernard Cassen, fait régulièrement état des réactions de James Tobin lors de sa conversation téléphonique qu’il avait eue pendant l’hiver 1998-99. Il s’agissait de l’inviter à un séminaire scientifique sur la taxe Tobin (qui s’est effectivement tenu à Paris le 25 janvier 1999). 

L’échange avait été très courtois, James Tobin se disant ravi d’apprendre qu’il y avait déjà, à l’époque, davantage de membres d’Attac (un peu plus de 5 000) que d’Américains connaissant son nom ! Il avait précisé qu’ « il n’était pas révolutionnaire » - ce que son interlocuteur n’ignorait pas...- et conclu qu’il ne pourrait assister au séminaire, tant pour des raisons de santé de son épouse que pour ne pas être lié personnellement à une association dont les objectifs n’étaient pas les siens. Pour lui, avait-il rappelé, l’intérêt de sa taxe était uniquement de diminuer l’instabilité des marchés des changes. Le président d’Attac lui avait dit parfaitement comprendre et respecter cette position.

Le nom de Tobin est une chose, celui de la taxe en est une autre. Ce n’est pas Attac qui a ainsi baptisé la mesure de taxation de la spéculation sur les monnaies : ce sont des générations d’économistes. La taxe Tobin est donc un concept tombé dans le domaine public : tout comme la courbe de Gauss ou le théorème de Pythagore, il existe indépendamment de son inventeur. Attac, comme de nombreuses autres organisations, en a fait la promotion en y ajoutant, mais sous sa seule responsabilité, d’autres préoccupations que celles de son concepteur.

6.- James Tobin doute que sa taxe soit jamais appliquée...

Il déclare effectivement : « Certainement pas, hélas ! Les décideurs sur la scène internationale y sont opposés ». Attac lutte précisément pour que lesdits décideurs, en France et en Europe dans un premier temps, soient contraints de changer d’avis. C’est faire preuve d’une grande malhonnêteté intellectuelle que de transformer en souhait de Tobin une situation qu’il est le premier à déplorer. 

7.- Les distances que prend Tobin vis à vis du mouvement contre la mondialisation libérale constituent-elles une gêne pour celui-ci ?

Pas du tout, car nous les connaissons et les avons fait connaître depuis le premier jour. Il faut cependant noter que James Tobin, dans l’appel qu’il a signé en mai 1999, indique : « Pour ces raisons, nous soutenons l’émergence de ce mouvement international qui tente de mettre en application législativement des taxes appropriées contre la spéculation financière ».

8.- James Tobin ne semble pas bien connaître Attac, en particulier ses positions sur la violence dans les manifestations ...

C’est exact, et il le dit lui-même : « Je ne connais pas vraiment dans le détail ses propositions. Les manifestations dont vous parlez ont été passablement incohérentes. J’ignore cependant si elles reflètent l’état d’esprit d’Attac ». 

L’assimilation que James Tobin fait d’Attac à des groupes violents ne peut résulter que de la désinformation pratiquée par la presse américaine, et notamment par des articles du Wall Street Journal. Tous nos textes et toute notre pratique démentent cette calomnie. Pour autant, nous ne tenons nullement rigueur à Tobin de croire ce qu’il lit dans les journaux de son pays.

Après son entretien téléphonique avec Bernard Cassen, il nous était apparu évident que James Tobin ne souhaitait pas être associé à Attac. Nous n’avions donc pas voulu l’importuner en le bombardant de communiqués ou en inscrivant son adresse électronique sur la liste de diffusion de notre lettre hebdomadaire en anglais. C’était une erreur que nous allons réparer afin que le Prix Nobel, pour lequel nous avons une très haute estime, puisse être directement informé de nos positions et de nos activités.

9.- Que penser du tintamarre provoqué par la publication de l’interview de James Tobin ?

Compte tenu de l’ampleur du mouvement pour la taxe Tobin en France, en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe, il était naturel que la presse veuille connaître la position du Prix Nobel. Nous nous en félicitons d’autant plus que Tobin confirme son souhait que la taxe soit mise en place, même s’il n’y croît pas en raison de l’hostilité des gouvernements.

Ce qui fait problème, ce n’est donc pas la publication de ce texte, mais les manipulations dont il fait l’objet. On fait dire ici et là à Tobin qu’il est « contre » sa propre taxe (par exemple dans Libération du 9 septembre 2001 et dans nombre de chroniques de commentateurs intéressés). Il s’agit, par la désinformation, d’affaiblir la position des partisans de la taxe Tobin à la veille de la rencontre entre Attac et Laurent Fabius, et surtout du Conseil Ecofin de Liège des 22-23 septembre qui doit en discuter. 

10.- Que penser des déclarations de Lionel Jospin sur ce sujet ?

En visite à Athènes, le premier ministre a cru déceler un « élément nouveau » dans les déclarations de James Tobin. Cela prouve, dans le meilleur des cas, qu’il est très mal informé par ses collaborateurs. On est cependant conduit à envisager une autre hypothèse lorsqu’il poursuit : « Que le père de la taxe y reste fidèle, mais ait son opinion sur ceux qui la cultivent et en défendent le culte, c’est quand même un élément intellectuel de discussion. Vous savez, je n’aime pas trop la pensée magique, alors j’aimerais bien qu’on creuse comme cela un certain nombre d’instruments, d’idées ». 

Puisque Lionel Jospin se place sur le registre « intellectuel », Attac lui fait remarquer que :

- on ne voit pas en quoi l’appréciation, d’ailleurs affichée comme approximative par l’intéressé, de Tobin sur Attac, modifierait en quoi que ce soit le bien fondé de la taxe Tobin ;

- Attac ne pratique ni le culte ni la « pensée magique » à propos de la taxe Tobin. D’une part, des dizaines de textes de l’association sont là pour témoigner que nous ne faisons pas de cette mesure une panacée et que nous avons bien d’autres propositions en matière de régulation des flux financiers ; d’autre part, la taxe Tobin est seulement l’une des revendications d’Attac. Le premier ministre en sait quelque chose puisque son gouvernement a affiché son hostilité au Parlement à plusieurs autres propositions de l’association, en particulier au sujet de l’épargne salariale et des licenciements de convenance boursière. 

En réalité, Lionel Jospin, en parfait accord, à ce jour, avec Laurent Fabius, au lieu de défendre la mise en place de la taxe Tobin en Europe, entend s’en débarrasser en l’expédiant dans des enceintes où il sait qu’elle sera aussitôt enterrée (FMI ou OCDE. Il serait plus franc qu’il le dise ouvertement, au lieu, dans un accès de fausse naïveté, de solliciter des déclarations du Prix Nobel pour justifier a posteriori cette dérobade.

Paris, le 12 septembre 2001 

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